Les transports publics assurent un quart des déplacements. Dans Bruxelles, le principal mode de locomotion est la marche à pied, avec près d’un tiers du total des trajets [1]. La voiture n’arrive qu’en seconde position. D’ailleurs, depuis 10 ans, la tendance est à une diminution sensible de l’utilisation de la voiture individuelle, qui a chuté de 50% à 32% du total des déplacements. En 2014, plus d’un tiers des ménages bruxellois ne possèdent pas de voiture et plus d’un quart des adultes n’y détiennent carrément pas de permis de conduire. Par conséquent, si la marche et le vélo progressent joliment et méritent d’être encouragés davantage, les transports en commun ont un rôle majeur à jouer.
Une offre largement tournée vers les navetteurs...
Quatre sociétés de transport public offrent leurs services à Bruxelles. Toutefois, trois d’entre-elles se focalisent sur les déplacements depuis (ou vers) une autre Région. Si le TEC wallon ne joue qu’un rôle marginal avec ses 9 itinéraires de bus, la société flamande De Lijn a davantage d’ambition : plus de 60 bus De Lijn desservent déjà la capitale et 3 lignes de trams sont à l’étude, déroulant plusieurs dizaines de kilomètres, elles irrigueront notamment les zonings proches de Zaventem. Comme De Lijn et le TEC, la SNCB considère que son métier est de transporter des navetteurs dans un mouvement pendulaire de longue distance, calibré sur les heures de bureau.
Cette même logique risque d’être appliquée lors de la mise en service du RER (reporté à 2022). Étonnamment, la SNCB n’entend pas profiter de l’arrivée du RER pour revoir son schéma d’exploitation et rationaliser son offre. Alors qu’un tiers des trains de voyageurs du pays passent quotidiennement par la Jonction Nord-Midi, on nous annonce la nécessité d’y procéder à de lourds travaux d’infrastructure (élargissement, superposition ou méga-tunnel...) en vue d’y accroitre le trafic. Pourtant les lignes de rocades existantes (L26 et L28) sont délaissées et un grand nombre de gares bruxelloises sont peu ou pas desservies ! Pour que l’opérateur ferroviaire participe à l’amélioration des conditions de circulation dans la ville, la Région bruxelloise réclame donc que les fréquences du RER soient élevées tout au long de la journée, que les lignes de rocade soient davantage exploitées et qu’un maximum de stations soient desservies, et même que de nouvelles gares soient créées. Cela permettrait aux Bruxellois d’utiliser le train pour se déplacer rapidement à l’intérieur de leur ville, sans avoir à construire, ni à financer de nouvelles infrastructures. Hélas, ces demandes ne sont pas soutenues par les deux autres Régions dont l’intérêt est de faciliter la vie des navetteurs qui payent leurs impôts dans leur lieu de résidence [2] et veulent un accès rapide au centre-ville. Ces demandes ne sont pas non plus accueillies favorablement par la SNCB qui privilégie les grandes infrastructures prestigieuses et tape-à-l’œil aux dépens de l’extension de son service, voire même aux dépens du maintien de l’offre actuelle.
... et un opérateur régional
Enfin et surtout, le transport public bruxellois c’est la STIB, qui fête cette année ses 60 ans ! Inter-Environnement Bruxelles adore la STIB et consacre beaucoup de son énergie à tenter de convaincre tout un chacun de ses mérites pour le développement harmonieux de la ville. À l’évidence, qui aime bien, châtie bien : nous avons souvent déploré des choix stratégiques qui semblaient davantage répondre aux intérêts propres du gestionnaire de réseau qu’à l’intérêt général. D’ailleurs, dans cette introduction à un numéro spécial consacré aux transports publics, il n’est pas trop tôt pour lever toute ambiguïté et rappeler que la STIB ne fait jamais qu’appliquer une stratégie fixée par les responsables politiques, avec les moyens qui lui sont alloués par ces mêmes responsables politiques. Bref, toute action d’un opérateur de service public obéit d’abord à une injonction politique, et rien ne sert de blâmer l’opérateur. Du moins, tant que ces responsables politiques n’auront pas privatisé leur outil...
Qu’attendre de la STIB ?
Nous ne nous lamenterons pas dans ce dossier sur l’étendue historique du réseau de tramways ni sur son arrachage malheureux : pas de vain passéisme. Nous nous limiterons à rappeler les changements récents et à présenter les développements imminents dans le but d’offrir une perspective sur les mécanismes à l’œuvre dans l’évolution actuelle et d’illustrer les logiques qui les sous-tendent.
Après des décennies d’investissement massif dans les infrastructures lourdes et souterraines, les années 2000 n’ont connu que le bouclage de la petite ceinture, via Delacroix et la Gare de l’Ouest. Pour la rigolade, on rappellera que ce bouclage nous a offert les deux terminus Simonis et Simonis qui – a eux seuls – ont fait grimper la fréquentation du métro, tant il fallait faire d’allers-retours pour retrouver son chemin. Plus sérieusement, on se souviendra surtout de l’arrivée des métros boas, des trams de nouvelle génération (3 et 4000) et du développement du réseau Noctis. On n’oubliera pas non plus l’obligation de la « montée à l’avant » dans les bus, ni l’introduction de la carte Mobib, présages des portiques d’accès aux stations.
En termes de réseau, 2008 a marqué la dernière restructuration d’importance en accentuant le principe du rabattement : des petites lignes locales renvoient l’usager vers les grandes lignes performantes. Pour la STIB, l’avantage en termes de gestion et de rentabilité est considérable, presque autant que la perte en confort et en rapidité pour l’usager [3]. C’est la multiplication des correspondances, que la STIB s’obstine à nommer « rupture de charge », jargon qui démontre qu’elle pense plus à son réseau qu’à ses clients.
Bien sûr, la STIB doit composer avec une croissance phénoménale de sa fréquentation, de l’ordre de 70% sur les 10 dernières années ; et elle devrait accueillir 20% de clients supplémentaires d’ici 2017. En surface, ses véhicules sont englués dans les embouteillages et rares sont les responsables politiques locaux qui daignent de leur plein gré lui accorder un site propre. Dans le même temps, on lui impose de sérieuses économies de fonctionnement. Pourtant, le monde politique compte sur la STIB pour honorer ses promesses de réduction du trafic automobile : il est prévu que la proportion de Bruxellois qui utilisent régulièrement la STIB grimpe de 55% en 2010 à 60% d’ici 2017. Ces objectifs stratégiques sont mentionnés dans le récent contrat de gestion couvrant la période 2013-2017 qui vient d’être négocié entre la STIB et le gouvernement bruxellois. On y trouve également les principaux développements à venir, dont nous vous listons ci-dessous les plus importants.
En termes d’infrastructures, les deux gros morceaux concernent le métro. Premièrement, le creusement d’une ligne de 4 kilomètres (7 ou 8 stations) vers Schaerbeek et Evere, en remplacement du tram 55. Depuis la gare de Bordet en passant par la place Colignon, ce métro rejoindra la gare du Nord. A partir de là, il devrait utiliser le tunnel (aujourd’hui dévolu aux trams 3 et 4) pour continuer son trajet jusqu’à Albert. C’est prévu pour 2022, au plus tôt. Deuxièmement, le projet nommé Pulsar qui consiste en l’automatisation des lignes 1 et 5 (Stockel / Gare de l’Ouest et Herrmann-Debroux / Erasme). Ces métros sans chauffeur sont censés pouvoir se suivre à très faible intervalle (moins de 2 minutes contre 2,5 aujourd’hui), ce qui permet d’en augmenter la fréquence et donc d’accroitre la capacité. À côté des métros, sont également prévus les prolongements ou la construction de plusieurs lignes de tram : 94, 9, 62 et 71 ; ainsi que la construction d’un tunnel pour franchir la place Meiser. De nouveaux dépôts devront également être construits pour accueillir tous les nouveaux véhicules qui parcourront ces lignes. On notera également que le contrat de gestion réitère la vieille promesse d’équiper des centaines de feux de signalisation d’un système de télécommande qui permet d’offrir une certaine priorité aux véhicules de la STIB. Enfin, pour préparer l’après-2017, la STIB va procéder à des études préparatoires relatives à la construction d’un métro vers Uccle, à des tunnels sous l’avenue de la Plaine et sous le Bois de la Cambre ainsi qu’à la mise en service de nouveaux trams extra-larges sur certains sites propres.
Qui va payer ?
Ce résumé des grandes lignes du contrat de gestion 2013-2017 est incomplet [4], mais il permet tout de même de prendre la mesure de la priorité accordée à l’infrastructure lourde et au retour en force du métro qui absorbe à lui seul 60% du programme d’investissements du réseau ferré urbain [5]. On ne se rassurera pas en apprenant que la source de ce financement est encore inconnue [6]. Le métro reste présenté comme « la seule » alternative crédible à l’automobile, grâce à sa rapidité. De fait, les transports publics de surface sont ralentis par la circulation automobile. Mais, il suffirait de donner réellement la priorité à la STIB pour que les performances des bus et des trams fassent un bond en avant. Cela pourrait se faire à peu de frais. Le monde associatif rappelle à chaque occasion que le magnifique projet « Cityvision » permettrait d’essaimer les rails de trams dans tous les coins de la ville pour une portion du budget du futur métro vers Schaerbeek. Si l’on vante le métro, c’est surtout une manière de ne pas porter atteinte aux privilèges de la voiture. Et, à titre personnel, les travailleurs d’IEB n’aiment pas voyager sous terre : ils n’admettent pas que les voitures individuelles s’arrogent le monopole de l’air libre. Dans bien d’autres villes modernes, les responsables politiques ont compris que les trams en site propre permettaient à la fois d’améliorer la mobilité et de créer un espace public de qualité, et ils en font un argument de campagne électorale. On peut encore attendre.
Derrière ces aspects techniques et cette approche en termes d’infrastructure et de budget, se cache la vraie richesse des opérateurs : les travailleurs. Le contrat de gestion prévoit l’embauche de 3100 personnes, principalement pour compenser des départs à la retraite. Ces travailleurs qui nous racontent que leurs conditions de travail se sont détériorées au fur et à mesure de la recherche du profit. Ces travailleurs dont la présence sur le réseau est pourtant le garant du sentiment de sécurité et de convivialité pour les usagers.
Cette même course au profit et à la rentabilité constitue également le risque majeur pour les usagers car, à suivre le raisonnement jusqu’au bout, seules les lignes rentables seront bientôt desservies, et tant pis pour le service public... tandis que les investissements dans les infrastructures lourdes risquent bien d’être répercutés dans les tarifs, surtout s’ils sont financés en partenariat avec le secteur privé. Or, si nous voulons satisfaire les usagers actuels et convaincre les automobilistes de changer leur mode de déplacement, il est essentiel de pouvoir compter sur un réseau qui couvre tout le territoire, sur une bonne fréquence à toute heure de la journée et sur des tarifs raisonnables et pourquoi pas gratuit.
Hélas, les usagers et les travailleurs des opérateurs des transports en commun se connaissent fort peu alors qu’ils font face aux mêmes menaces et partagent les mêmes intérêts.