Les années inexpérimentales
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Pour une maîtrise publique du foncier !

jeudi 8 septembre 2016, par ieb-equipe, Mathieu Sonck

« La SLRB lance un marché européen pour appeler des promoteurs privés à réaliser des projets de logements avec apport de terrain afin de produire un total de 500 logements moyens publics qu’elle financera. » [1]

C’est en ces termes que la Société de logement de la Région Bruxelloise [2] annonçait en grande pompe une nouvelle activité, sensée doper le marché de l’immobilier résidentiel moyen en Région de Bruxelles-Capitale. A une question parlementaire posée par l’opposition émettant des doutes sur l’intérêt financier de recourir à un PPP, la Ministre en charge du logement a fait une réponse que les experts tentent toujours de comprendre à l’heure où cet article est mis sous presse :

"Dans le plan, il est prévu que les gestionnaires remboursent 66,6% des investissements consentis sur une période de 33 ans. Le budget global de ce volet s’élève à près de 198 millions d’euros dont environ 26 millions pour le coût du foncier apporté par le partenaire privé. Près de 100 millions du budget global couvriront les coûts de construction et 65 millions seront à charge de la Région sur une période de 33 ans, ce qui correspond à une annuité de 1.976.630 euros. À cela, il faut encore ajouter une indexation annuelle de l’ordre de 2%, une hypothèse de rendement pour les promoteurs privés et une marge de sécurité de l’ordre de 10%, comme c’est prévu sur l’ensemble des projets. Il ne s’agit donc pas d’un régime de faveur par rapport à un secteur en particulier : on applique la règle générale."

L’appel d’offre de la SLRB annonce un budget global de 200 millions d’euros. Pour 500 logements, une enveloppe de maximum 400.000 euros serait consacrée à chaque logement... Cher payé pour un logement dit « moyen » quand on sait que le prix de la construction (hors frais annexes de conception, accompagnement du chantier et commercialisation) d’un logement public de 85m2 tourne autour des 100.000 euros [3] , et drôle de signe donné au marché dès lors que les promoteurs auront vite fait de calculer la différence et de tenter d’en empocher une partie ! Ce que la SLRB semble espérer c’est que le marché (en concurrence libre et non faussée, c’est bien connu) réponde avec des offres largement inférieures à cette estimation de bon père de famille [4] Il nous revient que des offres ont été déposées pour environ 600 appartements. Peu de concurrence donc. C’est ainsi que pensant détrousser les riches au profit de la collectivité, le roi pourrait bien se retrouver nu...

Ce privé qui fascine les gouvernants...

Si l’on peut tout comprendre qu’un PPP, c’est toujours plus cher dès lors qu’il convient de rémunérer ’actionnaire du partenaire privé, on pourrait s’étonner du choix des pouvoir publics de privilégier ce genre de montage. C’est que les gouvernements bruxellois successifs n’en sont pas à leur coup d’essai quand il s’agit de favoriser les intérêts privés. Ainsi :

- à la suite de la 6e réforme de l’État, la loi sur le bail va bientôt être régionalisée. Sur la table : un texte qui comble d’aise le syndicat des propriétaires qui s’oppose farouchement à toute mesure visant à encadrer le marché locatif ;

- le dernier grand terrain détenu par la SLRB fera, si nos informations sont exactes, l’objet d’un développement de logements dont seulement un tiers de logements sociaux ;

- la friche ferroviaire de Josaphat, terrain régional, fera l’objet dans le futur d’un développement immobilier majoritairement privé (55 % selon nos sources) ;

- le Plan particulier d’Aménagement du Sol de Tour et Taxis, à l’enquête publique récemment, prévoit l’imposition sur ce terrain privé d’une proportion de logements sociaux s’élevant à ...zéro pour-cents !

De là à conclure que le gouvernement a choisi son camp… Ces différents exemples questionnent tous par la préférence flagrante faite au privé, au détriment des administrations publiques que l’on continue à démanteler allègrement [5]

Une politique excluante pour les pauvres...

La majorité des Bruxellois mal logés ont des revenus tellement faibles que seul un logement social leur permettrait de retrouver un peu de dignité. En privilégiant le logement moyen et le logement de luxe, le gouvernement choisit de les maintenir dans la misère. A Bruxelles, 22 % des logements loués sur le marché privé sont de qualité médiocre ou mauvaise [6]. En outre, les logements situés dans les quartiers populaires sont largement sur-occupés. Cette sur-occupation a un effet direct sur la réussite scolaire des enfants.

Figure 1.

Ainsi dans la figure ci-contre, on remarque que le taux d’échec des enfants ne disposant pas d’une chambre personnelle pour étudier est 20 % supérieur à celui des enfants qui bénéficient de leur propre chambre [7]. En d’autres termes, le mal-logement empêche les enfants issus de familles populaires de prendre l’ascenseur social. Au lieu d’encadrer les loyers et de construire massivement des logements sociaux, le gouvernement bruxellois fait le pari de remplacer les habitants non solvables par des habitants contribuant davantage à l’assiette fiscale… Pour ce faire, il choisit de se défaire massivement du peu de foncier qu’il possède alors qu’il pourrait faire le contraire et parier sur l’émancipation de la population existante.

Si tous les logements étaient publics, il n’y aurait plus de crise du logement...

Si l’on connaît bien le débat récurrent à propos de la nécessité d’agir face aux sous-occupation et sur-occupation de certains logements sociaux, qui s’expliquent par l’évolution (à la baisse ou à la hausse) de la composition familiale des ménages occupants, il ne semble pas encore politiquement correct d’affronter ce phénomène pourtant aussi largement présent sur le marché privé. Cette réalité nous est rappelée par les scientifiques [8] depuis la parution de la mise à jour d’une étude de Brussels Studies consacrée à la question du logement dans la Région de Bruxelles-Capitale [9] :

« Les taux élevés de sous-occupation observés dans certains quartiers recèlent, quant à eux, un potentiel théorique non négligeable de densification résidentielle. Affecté selon les besoins(en terme de taille des ménages), le stock de logement existants permettrait de loger tous les ménages bruxellois au moins dans la norme du logement social. »

De là à en conclure que si tout les logements étaient publics et que les pouvoirs publics se dotaient d’un instrument permettant de mieux allouer les ressources en fonction des besoins, il ne faudrait pas construire un seul logement à Bruxelles pour répondre à la demande, il n’y a qu’un pas que personne ne franchira, le sacro-saint droit de propriété étant encore bien ancré dans les esprits. Mais si l’on pouvait tendre, ne serait-ce que modestement vers une maîtrise publique du foncier un petit peu plus volontariste, personne, à par les spéculateurs, n’y trouverait à y redire...

Faire de la reconquête du foncier une priorité...

La politique du logement appliquée en Région de Bruxelles-Capitale depuis sa création a clairement prouvé son inefficacité. Le « tout au marché » n’a fait que creuser l’écart entre l’offre et la demande sociale et l’on ne peut que regretter la frilosité des pouvoirs publics à engager les réformes nécessaires permettant à la SLRB et aux SISP de mieux entretenir, rénover et agrandir le parc social existant [10] . De même, la politique de la Région visant à favoriser l’accès à la propriété des classes moyennes en subsidiant la construction de logements moyens sur des terrains publics n’a pas enrayé le solde net de migrations des classes moyennes vers les autres régions du pays. Cette politique visant à attirer les classes moyennes plutôt que de favoriser l’émancipation des classes populaires est pourtant couteuse pour la collectivité puisqu’elle implique l’engagement de fonds publics à hauteur de 30% (et parfois plus) du coût de ces logements et que cet investissement public est perdu à terme dès lors que le bénéficiaire du subside revend son logement [11]

Il est donc temps de partir à la conquête (publique) du foncier. Cette conquête passe d’abord par l’arrêt de toute politique qui implique la perte de contrôle du foncier public sur le long terme : exit donc les partenariats public privés sur terrains publics (citydev, grands projets de PPP sur les friches Josaphat et Delta, etc...), sauf si le foncier reste public. Mais cette conquête passe aussi par une réhabilitation dans les discours et dans les faits du logement public locatif et singulièrement du logement social qu’il convient de produire massivement sur les dernières friches appartenant aux pouvoirs publics.

Si cela ne sera sans doute pas suffisant tant les terrains publics font défaut, il faut rappeler que le droit au logement, consacré dans la constitution belge, trouve également écho dans la législation bruxelloise et que « Il appartient aux pouvoirs publics, entre autres, de créer les conditions nécessaires à la réalisation de ce droit fondamental » [12]. Ainsi, le code du logement fait non seulement référence à l’obligation verticale que les droits de l’homme crée à l’égard des pouvoirs publics mais il ouvre également la voie à l’obligation horizontale que ces droits fondamentaux créent également pour les parties privées elles-mêmes. Et singulièrement celle pour les promoteurs privés de consacrer une part significative de leurs marges bénéficiaires à proposer des solutions qui répondent à la demande sociale. Ainsi, plutôt que de prévoir 50% de logements privés sur des terrains publics comme Josaphat, si l’on imposait un pourcentage significatif de logements publics (cédés à prix coûtant) sur Tour et Taxis ou sur le bassin de Biestebroek, pour ne prendre que deux exemples de terrains soumis à la spéculation du privé avec la bénédiction des pouvoirs publics qui leur concoctent des plan particuliers d’Aménagement du sol à sa mesure, ce sont des milliers de logements public locatifs qui seraient créés et sous contrôle à long terme des pouvoirs publics. Encadré : des charges d’urbanisme pour regagner du terrain ? Les charges d’urbanisme permettent de faire contribuer les projets privés, dès lors qu’ils dépassent une certaine taille, au financement des besoins collectifs qu’ils génèrent, tels que des équipements de proximité et des infrastructures de mobilité. Elles peuvent également permettre de financer des logements sociaux ou conventionnés. En pratique, ce système favorise, au mieux, la production de logement moyen, ce qui est déjà critiquable en soi dès lors que plus de 50% des locataires bruxellois sont dans les conditions de revenus pour accéder à un logement social. En outre, l’arrêté « charges d’urbanisme » permet aux promoteurs de projets de logements d’être exemptés de charges s’ils incluent dans leur projet 15% de logements conventionnés mais il oublie d’indiquer explicitement l’obligation de céder ces logements à titre gratuit aux pouvoirs publics ! C’est le cas par exemple dans le permis délivré par la Région pour le projet d’hôtel prévu sur le site du couvent Gesu à Saint-Josse et la raison pour laquelle IEB et l’ARAU ont déposé un recours en annulation devant le Conseil d’Etat. L’enjeu de ce recours est d’éviter toute mauvaise interprétation de l’arrêté relatif aux charges d’urbanisme et de pousser les pouvoirs publics à le revoir et de saisir cette occasion pour reprendre la maitrise d’une partie du foncier privé...

Notes

[1] http://www.slrb.irisnet.be/publicat...

[2] (SLRB) la Société du Logement de la Région de Bruxelles Capitale (SLRB) exerce la tutelle sur les 19 Sociétés Immobilières de Service Public (SISP) qui gèrent un patrimoine de 39.369 logements au 31/12/2013.

[3] Nous nous basons pour ce calcul sur une présentation faite par la SLRB elle-même, affirmant que le cout de construction d’un immeuble de logements passifs récent était de 1100 euros/m2.

[4] L’explication de ce budget pharaonesque viendrait du fait que la SLRB aurait imaginé le pire scénario budgétaire, un coût de construction par logement largement supérieur au prix du marché, une marge de sécurité au cas où il y aurait des surcoûts, une marge confortable de 20 % pour le promoteur, un taux d’intérêt de 5 % alors que le prix du marché est de 1,9 %, autant d’explications portant le coût potentiel de chaque logement à 400.000 euros. Ce montant fut calculé en partant du principe que le prix moyen d’un logement est de 175.000 euros, ce prix comprenant le coût de la construction et l’ensemble des frais d’honoraire des différents intervenant, évalué à 33 % du coût de construction. A ce coût est ajoutée une marge de 28 % incluant le risque, le bénéfice du promoteur et l’index (sur quoi, nous n’avons pu l’identifier à ce stade), ce qui mène à 225.000 euros, soient 112.000.000 euros pour les 500 appartements. A l’époque, les taux d’intérêt étaient plus élevés qu’aujourd’hui, 5 % selon notre source, ce qui double le prix et mène à un montant global de 200 millions..

[5] Lire http://www.ieb.be/Le-bureau-bruxell....

[6] Marie-Laurence De Keersmaecker – Observatoire des Loyers : enquête 2015 – Observatoire Régional de l’Habitat - Avril 2016

[7] Ces informations sont tirées d’une présentation de Pierre Marissal, géographe et chercheur à l’IGEAT, à la Brussels Academy, date xxx

[8] SURKYN, Johan, WILLAERT, Didier, MARISSAL, Pierre, CHARLES, Julie & WAYENS, Benjamin, 2007. La Région de Bruxelles-Capitale face à son habitat : étude structurelle et prospective. Bruxelles : Rapport inédit pour Madame F. Dupuis, secrétaire d’Etat au logement de la Région de Bruxelles-Capitale.

[9] Christian Dessouroux, Rachida Bensliman, Nicolas Bernard, Sarah De Laet, François Demonty, Pierre Marissal, Johan Surkyn - Note de synthèse BSI - Le logement à Bruxelles : diagnostic et enjeux - Brussels Studies 2016

[10] Lire à ce propos les n° 58 et 62 de la revue « art.23 » éditée par le RBDH : « Produire des logements sociaux aujourd’hui et demain, parties 1 et 2 », décembre 2014 et mai 2016.

[11] Cette revente se fait sous conditions, sauf si un délai de 10 ans (pour les projets passés) et 20 ans (pour les projets en court et à venir) est passé. Dans ce cas, le propriétaire du logement empoche la plus-value à la revente..

[12] Art. 5 du code du logement.

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