Pas loin de 50% des ménages bruxellois sont locataires sur le marché locatif [1] Le coût excessif de l’acquisitif ainsi que le manque d’offre de logements locatifs publics expliquent cette situation qui ne semble pas prête d’évoluer. Les pouvoirs publics peinent à mettre en œuvre les projets de construction de logements sociaux supplémentaires, tandis que nombre de candidats acheteurs se tournent vers la périphérie pour réaliser leur rêve et trouver un foyer pour leur famille. Ce sont les quelques 10.000 ménages [2] qui quittent chaque année la capitale et que les pouvoirs publics tentent de retenir par diverses mesures de rénovation urbaine et d’aide à l’accès à la propriété. En vain...
Spécificités bruxelloises
Pour bien comprendre la crise du logement qui s’est durablement installée chez nous, il est nécessaire de rappeler quelques unes des caractéristiques de notre ville-région. Tout d’abord, Bruxelles a su garder en son centre et le long du canal des quartiers populaires, même si ceux-ci sont aujourd’hui en voie de transformation et suscitent la convoitise des promoteurs. Les quartiers situés au Nord et à l’Ouest sont eux majoritairement habités par la classe moyenne, tandis que les quartiers situés au Sud et à l’Est sont des quartiers aisés. Il y a donc une forte dualisation du territoire et des réalités très différentes d’un quartier à un autre. Mais globalement, le taux de chômage pèse sur notre région et sur sa population qui voit sa situation sociale se dégrader au fil des décennies.
Du côté des politiques du logement, les pouvoirs publics [3] ont toujours eu tendance à privilégier les dispositifs d’aide à l’accès à la propriété au détriment de l’investissement dans un parc immobilier public locatif digne de ce nom. Le résultat est que le logement social représente aujourd’hui moins de 8% du parc immobilier global auquel on peut encore rajouter 2% de logements qui appartiennent à différents organes publics (régies foncières, CPAS, Fonds du logement,...). C’est un taux dramatiquement faible et en tous les cas totalement insuffisant pour faire face à la demande sociale. L’approche historique et idéologique du secteur empêche aujourd’hui la Région de remplir ses obligations en matière de Droit au Logement.
Pour finir, les ménages avec enfants, même lorsqu’ils bénéficient de revenus décents, peinent à trouver un logement adapté à leur besoin et abordable. Selon l’observatoire des loyers [4] 28% des locataires sont candidats propriétaires. Pour la plupart il s’agit de couples avec ou sans enfants bénéficiant de revenus supérieurs à la moyenne.
La combinaisons de ces trois éléments engendre une concurrence accrue entre les candidats locataires sur le marché privé. Celle-ci est par ailleurs renforcée par l’augmentation de la population qui est en cours. Autant de facteurs qui contribuent à maintenir une pression à la hausse sur les prix de l’immobilier tant locatif qu’acquisitif.
La loi du marché
La concurrence entre les ménages et l’accroissement de la demande ne sont pas les seuls éléments qui expliquent la hausse des prix des loyers. Les crises financières à répétition ont fait fuir pour un temps les investisseurs des places boursières. Les taux d’intérêts particulièrement bas ne leur permettent pas non plus d’obtenir un quelconque revenu dans des placements plus sûrs. L’immobilier à Bruxelles sert de valeur refuge à ces groupes et ces personnes. Il offre sans conteste un rendement supérieur et avec de meilleures garanties, ce qui a pour conséquence de tirer les prix de l’acquisitif vers le haut. Les loyers suivent naturellement cette tendance poussant les habitants à consacrer une part plus importante de leur budget au logement ou à trouver des solutions alternatives telles la colocation qui est un phénomène clairement en hausse ces dernières années [5].
La concurrence entre les fonctions est un phénomène plus ancien qui joue lui aussi un rôle dans la hausse des valeurs foncières. Bruxelles, capitale administrative à plus d’un égard, a, depuis longtemps déjà, sacrifié une large partie de son territoire aux immeubles de bureaux. Malgré le vide locatif dans ce secteur, la tendance ne semble pas s’inverser [6]
Pour finir, les coûts liés à la rénovation du bâti existant, à l’intégration des nouvelles normes et à l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments ont également un impact non négligeable sur les loyers [7].
Si l’on examine l’évolution des loyers entre 2000 et 2016, on remarque très clairement que l’augmentation des loyers dépasse de loin l’évolution de l’indice santé, même si le phénomène tend à s’amenuiser ces deux dernières années [8]. Ainsi entre 2004 et 2015, le loyer moyen payé par les ménages bruxellois a augmenté de quasi 50% pour atteindre 709 euros. Sur la même période, l’évolution de l’indice santé n’aura été que d’un petit 25% et celle des revenus de 20% [9]. Les loyers pèsent donc de plus en plus lourd dans le budget des ménages. Ceci se reflète nettement lorsque l’on examine la part théorique du parc locatif accessible pour chaque tranche de revenu. En partant du principe qu’un ménage doit consacrer au maximum 25% de ses revenus au loyer, si on compare l’évolution des revenus des ménages (classés par déciles, soit des tranches de 10%) avec l’évolution des loyers moyens, il apparaît qu’en 2015, les 50% des ménages les plus pauvres n’ont accès qu’à 4% des logements du marché privé. En 2004, ces mêmes 50% de ménages avaient encore accès à 21% du parc. La situation des tranches supérieures ne reste pas non plus enviable comme en témoigne le tableau 1 et seuls les 20 à 30% de ménages bénéficiant des revenus les plus élevés s’en sortent mieux.
Cette évolution n’impacte donc plus seulement les ménages en situation précaire qui rognent depuis longtemps déjà sur des dépenses parfois essentielles telles les soins de santé, mais elle touche aujourd’hui également la classe moyenne qui voit son budget diminuer du fait du poids du loyer. C’est la raison pour laquelle de nombreuses voix appellent depuis longtemps la mise en place d’un système d’encadrement des loyers qui restait jusqu’ici difficile à mettre œuvre dans la mesure où les baux relevaient de la compétence de l’État Fédéral.
Une opportunité à saisir !
Avec la sixième réforme de l’État, entrée en vigueur le 31 janvier 2014, de nouvelles perspectives se sont ouvertes pour répondre à la crise du logement. En particulier, le transfert de compétences opéré vers les régions en matière de fiscalité immobilière et de la loi sur le bail d’habitation offrent la possibilité d’enfin enrayer les dérives du marché locatif privé bruxellois.
Cela devrait être d’autant plus facile qu’il existe déjà des balises dans la mesure où les baux doivent être enregistrés et où les loyers ne peuvent être augmentés au-delà de l’index en cours de bail. Le problème se pose pour les baux courts qui peuvent être revus plus régulièrement et en cas de changement de locataire. Les bailleurs ont là toute latitude pour augmenter le loyer demandé sans qu’aucun critère objectif ne soit pris en compte comme par exemple la réalisation de travaux d’isolation.
De manière générale, les loyers sont fixés de manière arbitraire. Bien entendu, pour une large partie des logements, la fixation du loyer répond à la loi du marché. Cela veut dire que les caractéristiques intrinsèques des logements (superficie, nombre de chambres, salles de bain, niveau de confort, situation géographique,...) sont pris en compte dans le loyer et correspondent à ce que les preneurs sont prêts à payer au vu de ces caractéristiques. Ceci fonctionne tant que les personnes qui sont à la recherche d’un logement ont le choix. Mais dans une situation où 50% des ménages n’ont plus accès en théorie qu’à 4% du parc locatif cela ne marche plus. Tout simplement parce que trop de ménages peinent à trouver de quoi loger et qu’ils sont dès lors prêts à payer le prix fort pour des logements de mauvaise qualité et souvent inadaptés à leur situation familiale. Ceci a pour conséquence non seulement d’aggraver la précarité sociale de ces personnes, mais également de faire grimper les loyers des logements de mauvaise, de moindre et de moyenne qualité.
La régionalisation du bail est une opportunité unique pour mettre en place les outils légaux pour combattre cette dérive. Établir une grille des loyers contraignante ou du moins pénalisante qui permette d’objectiver la valeur des biens immobiliers mis en location est une première étape. Elle doit servir de référence pour estimer le loyer normal en fonction de toute une série de critères objectifs clairement définis. L’instauration d’une commission paritaire locative composée de représentants des locataires et des propriétaires et encadrée par les pouvoirs publics est une deuxième étape. Son rôle serait d’arbitrer les conflits et litiges éventuels, l’objectif étant de s’attaquer prioritairement aux situations les plus abusives.
Par ailleurs, les nouvelles compétences de la Région en matière de fiscalité immobilière permettent d’envisager la mise en place d’incitants/pénalisants fiscaux pour pousser les bailleurs à se conformer à la grille établie. Celle-ci pourrait en outre servir de nouvelle base au calcul de la taxation immobilière régionale et remplacer le précompte immobilier, trop déconnecté de la valeur locative réelle des biens.
Une opportunité manquée...
La régionalisation du bail et de la fiscalité immobilière offre donc aujourd’hui les outils au Gouvernement pour tenter d’enrayer la crise du logement en cadrant quelque peu le marché locatif privé. Malheureusement la volonté politique semble faire défaut. Le texte que le Gouvernement a adopté en première lecture début juillet de cette année loupe le coche. Il prévoit bel et bien l’élaboration d’une « grille indicative de référence de loyers à laquelle pourront se référer les parties », mais en précisant toutefois « sans que cela ne constitue une contrainte supplémentaire pour le propriétaire ». Autant dire que cette grille n’aura strictement aucun effet sur les propriétaires peu scrupuleux, ceux-là même qui pratiquent des loyers abusifs pour des biens en mauvais état.
Pourtant, en 2005, Céline Fremault, aujourd’hui Ministre en charge du logement, était une des 5 parlementaires à signer une proposition de résolution visant la « mise en œuvre d’une politique d’encadrement des loyers » [10]. Dix ans plus tard, aurait-elle oublié ses bonnes résolution ?