Depuis quelques années, la perspective de construction d’une méga prison sur le site du Keelbeek agite la petite localité de Haren, capitale du chicon. Le comité des habitants a été le premier acteur à s’interroger sur l’implantation de ce village carcéral sur les 18 hectares du terrain du Keelbeek, où malgré le trafic intense cumulé du chemin fer, du ring et de l’aéroport, de nombreuses espèces végétales et animales (dont de nombreux oiseaux migrateurs) profitent encore d’un espace de nature vierge de toute construction.
De nombreux chemins de discordes convergents
Tel un lanceur d’alerte, le comité s’est rapidement mobilisé contre ce projet jugé toxique et démesuré et, pour renforcer leur lutte, les habitants ont habilement trouvé toute une série d’alliances. En première ligne, les associations de protection de la nature et les fervents défenseurs des terres agricoles. Pour eux, l’enjeu est d’une part de préserver la biodiversité et protéger les espèces menacées, tant animales que végétales présentes sur le site, et d’autre part de sauvegarder les terres arables et instaurer une ceinture alimentaire autour de la ville. Le terrain a donc été occupé par une poignée d’activistes – venus parfois de France, d’Espagne ou d’ailleurs – qui y ont construit des abris, cultivé la terre et organisé de nombreux événements en lien avec le thème de la prison et des alternatives possibles.
Ce sont ensuite les acteurs proches de l’univers carcéral et de la magistrature qui sont venus grossir les troupes d’opposants. Leurs préoccupations sont clairement différentes et pointent plutôt les aspects jugés conservateurs et sécuritaires du projet, considérant d’une manière générale qu’un complexe carcéral de cette taille est une mauvaise réponse à la surpopulation des prisons de Saint-Gilles et Forest. Ils dénoncent un système d’enfermement classique qui va à l’encontre d’une politique réductionniste des établissements pénitentiaires. En effet, cette prison est à l’opposé des recommandations des spécialistes du secteur qui plaident pour des établissements de petites tailles où les détenus exécutent leur peine avec un accompagnement adapté qui favorisera leur réinsertion dans la société.
Le choix de l’implantation de ce monstre carcéral sur un terrain éloigné et difficile d’accès, déconnecté de la ville et du Palais de justice, aura également de nombreuses conséquences néfastes et porteront atteinte à l’exercice des droits fondamentaux des détenus. Cette mise à l’écart symbolique des établissements pénitentiaires est un mauvais signal notamment pour IEB qui s’interroge d’avantage sur la question de l’aménagement du territoire dans son ensemble. La prison de Haren, si elle se construit un jour, devrait remplacer les actuelles prisons de Saint-Gilles et de Forest qui disparaîtront alors du paysage urbain, libérant ainsi de vastes terrains au cœur de la ville. Ces nouvelles réserves foncières laissent entrevoir de nombreuses possibilités d’aménagements qui restent encore mystérieuses mais certainement financièrement juteuses.
Un autre sujet d’énervement qui rassemble est l’opacité du mode de financement du projet par un Partenariat Public Privé (PPP). Selon Jan Jambon, ministre en charge de la Régie des Bâtiments, « Le coût de construction d’une nouvelle prison à Haren s’élève à quelque 330 millions d’euros, dont 53 millions d’euros pour l’acquisition du terrain » [1]. Alors que l’on sait que les budgets de la justice sont déjà revus à la baisse et que par conséquent cela risque de mettre en péril des initiatives plus porteuses en terme de résultat comme des actions préventives et d’autres projets alternatifs favorisant la réinsertion des détenus.
Quand la diversité fait force
Afin de rassembler toutes les forces vives, ces différents réseaux d’organisations et de citoyens se sont regroupés au sein d’une plateforme, « Pour sortir du désastre carcéral », qui entend soutenir des alternatives à la prison de Haren. C’est un lieu où s’échangent des informations sans obligation d’approuver les idées des autres. L’objectif est de faire front commun et de regrouper le plus largement possible les arguments et les énergies contre le projet. Un travail collectif est régulièrement réalisé pour élaborer des prises de positions communes et rédiger des textes destinés à interpeller les citoyens et le politique via différents modes d’actions (des conférences de presse,…).
Si les motivations des uns et des autres pour s’opposer à ce modèle de prison jugé destructeur tant pour l’humain que pour l’environnement sont parfois très différentes, pour l’ensemble des opposants, de manière unanime, c’est aussi et surtout l’absence de concertation et le manque de transparence dans ce dossier durant tout le processus d’élaboration du projet qui fait défaut. Un déficit démocratique qui a fédéré les troupes et a agit comme un ciment entre les différents groupes de contestataires. Parce que la prison est un choix de société qui mérite un débat démocratique, il est nécessaire que les citoyens puissent se l’approprier.
Cette absence de concertation avec les habitants, mais aussi avec le secteur de la magistrature, les avocats et les différents acteurs proches de l’univers carcéral, est récurrente depuis l’amorce du projet et dénoncée avec force comme un problème majeur. Une rétention d’information pointée de toute part et qui concerne tout autant le financement du projet que le choix du terrain, sans oublier l’absence totale de proposition d’alternatives.
Par ailleurs, si les procédures urbanistiques ont été respectées, les habitants de Haren ont dénoncé à maintes reprises le manque de volontarisme des autorités pour favoriser une participation optimale des citoyens aux différentes étapes de celles-ci. Pointons plus particulièrement l’organisation des enquêtes publiques et autres réunions d’informations en partie pendant les congés scolaires et le fait que les dossiers soient consultables uniquement en néerlandais et à l’administration communale au centre-ville – à plusieurs kilomètres de Haren – sous haute surveillance policière. Tous ces éléments constituent des freins évident à l’implication des habitants dans les procédures légales, bien qu’en fin de compte, ils n’ont manifestement fait qu’attiser encore davantage la détermination des opposants. La première revendication finalement a toujours été d’obtenir les informations et la transparence sur ce dossier.
Le chemin du Keelbeek, un sentier repris de justesse ?
Aujourd’hui, les travaux pour la prison à Haren, qui devaient démarrer en novembre 2015, sont à l’arrêt. En premier lieu, et contre toute attente, la Ville de Bruxelles a refusé de modifier le tracé du sentier du Keelbeek qui serpente au beau milieu du terrain prévu pour ce « village carcéral », invalidant ainsi la demande de permis d’urbanisme délivré. L’on pourrait s’imaginer alors que la préservation d’un chemin vicinal s’inscrit dans une volonté de sauvegarder l’usage d’un patrimoine commun séculaire, indispensable tant au bien être des habitants qu’au maintien de la bio diversité. Mais ce qui ressemble à une victoire n’est peut-être finalement qu’une imposture, une illusion de bon sens en forme de trompe l’œil qui dissimule bien mal des desseins moins glorieux.
De toute évidence, le maintien de ce sentier vicinal qui relie Haren à Diegem depuis 1621, n’est qu’un vil prétexte pour la Ville de Bruxelles qui souhaitait surtout négocier des compensations (puisque Haren fait partie de son territoire administratif). La récente Déclaration de Politique Régionale du gouvernement de la Région de Bruxelles Capitale n’en fait d’ailleurs aucun complexe et mentionne de manière limpide concernant les sites actuels des prisons de Forest et de Saint-Gilles que « Quand bien même le Fédéral répondrait à toutes les conditions mises par la Région et la Ville de Bruxelles, nous n’avancerons pas sur l’octroi du permis pour la construction de la prison de Haren tant que nous n’aurons pas de garantie suffisante pour la libération effective des deux sites » [2]. Un marchandage indigne qui ne remet aucunement en cause le projet de Haren dit « d’utilité publique » en utilisant en monnaie d’échange l’usage commun d’un sentier séculaire.
D’autres chemins de justice
Conscients des enjeux et des négociations en cours, les opposants au projet ont également attaqué le projet par les canaux juridiques. Ainsi, dernièrement, le collège de l’environnement a annulé le permis d’environnement accordé pour la prison suite à un recours introduit par IEB et les habitants. Cette décision est motivée entre autre par l’absence de propositions d’alternatives au projet dans l’étude d’incidences, et en premier lieu la rénovation des prisons existantes et pointe également les gros problèmes de mobilité qui seront générés par la prison, mais également par d’autres projets à venir dans la zone et que l’étude a oublié de prendre en compte.
Un permis d’environnement supprimé, un permis d’urbanisme perdu sur un sentier, et aucune trace écrite d’un quelconque contrat passé entre la Régie des Bâtiments et le consortium d’entreprises Cafasso en charge du projet [3]. Dans ces conditions, les plans de cette nouvelle prison risquent de moisir encore quelques temps à l’ombre dans des cartons, pour le plus grand bonheur des militants du Keelbeek libre.
Encadré La plateforme « Pour sortir du désastre carcéral » est composée de citoyens mais aussi d’associations (le Comité de Haren, Respire asbl, La ligue des Droits de l’Homme, l’Observatoire International des Prisons, l’Association syndicale des magistrats, Bruxelles Laïque, le Centre d’Action Laïque, Progress Lawers Network, Resap et Inter-Environnement Bruxelles).
Notes
[1] La Capitale, 14 juillet 2015.
[2] www.parlbruparl.irisnet.be (page 13-14).
[3] Le Soir du 28 novembre 2015.