Témoignages recueillis par Mohamed Benzaouia de juillet à septembre 2015
Ahmed Adrioueche
Habite Schaerbeek depuis le début des années septante. Il y a fait sa scolarité primaire et secondaire dans les écoles communales.
« Le quartier est pour moi la véritable échelle de vie. Ce ne sont pas que des visages qui passent et des gens qu’on connaît, ce sont des sourires, des voisins, des commerçants qu’on fréquente et avec qui on a des bons rapports. Le quartier est aussi le lieu de vie de ma famille. Quand j’ai vu l’affiche qui annonçait la première réunion [CQ Helmet], j’y suis allé. J’étais agréablement surpris de voir le nombre de gens qui s’y intéressaient, des gens que je connaissais de vue et d’autres que je connaissais très bien. Je me suis dit qu’il y avait un intérêt certain pour la vie du quartier. C’était un échantillon assez fidèle de la diversité du quartier en terme social, générationnel et culturel. Il fallait s’engager à un certain nombre de réunions.
J’ai voulu voir ce que l’expression « contrat de quartier » signifiait. Il y a le mot quartier, puis le terme contrat, un accord, un arrangement, un engagement. Mais contrat entre qui et qui, et pour faire quoi ? Enfin le terme durable. En tant que père que je ne peux que souscrire à tout ce qui est durabilité pour l’avenir de nos enfants.
Les premières réunions donnent des informations sur le quartier, un diagnostic, on fait une radiographie du quartier. La proportion des propriétaires par rapport aux locataires, la pyramide des âges, on pouvait voir quel était l’état des logements, le taux de chômage, la scolarité. On était en train de cerner le quartier pour voir comment on pourrait répondre aux besoins. On parlait de créer des liens entre les gens, du mieux vivre ensemble, c’étaient des termes accrocheurs, chers au cœur de celui qui ne fait pas que passer par là.
Puis on a commencé une phase plus technique qui consiste à voir les différents volets (actions immobilières, aspects économiques, aspects socio-culturels…), et on voyait que le nombre de participants à la commission chutait au fur et à mesure. Il y a toute une série de questions que nous avons essayé de poser par la suite, lors d’une soirée consacrée à la participation et à l’organisation, aux liens institutionnels entre la Région bruxelloise et la Commune (via son bras armé qu’est RenovaS). On a tenté de poser des questions de fond liées à la participation citoyenne. Quel est le poids réel d’une commission de quartier ? S’agit-il simplement de se concerter, de proposer, alors que les décisions se prennent ailleurs ? Est ce que la commission de quartier est juste un faire-valoir ou un vrai lieu où un contrat citoyen est passé entre les habitants et ceux qui les représentent ?
La question que je me pose après quatre ans d’implication, c’est que la commune a rénové (hors CQ) le quartier des Fleurs, à la limite d’Evere, les voiries, trottoirs, plaines de jeux etc., et pas un quartier comme celui d’Helmet, qui en a pourtant plus besoin ? Peut être que les habitants du quartier des Fleurs votent différemment ? Ou peut-être qu’ils sont mieux organisés pour revendiquer l’amélioration de leur quartier ? Il y a eu des projets qui ont été soutenus par le CQ mais qui se sont tous arrêtés à la fin du contrat. Ces actions, culturelles, artistiques,… ne durent que le temps du CQ et ne servent qu’aux personnes qui les portent. Pour certains, c’est un gagne-pain. La seule chose de durable dans le CQ reste le béton. »
Mohamed Edahbi
Habite Anderlecht depuis une vingtaine d’année. Il a suivi les contrats de quartier Heyvaert (2004-2008) et Écluse-Saint-Lazare (2008-2012).
« Ça fait vingt ans qu’il y a des CQ sur ce territoire mais on n’a pas l’impression qu’il y a eu autant de programmes et de budgets qui ont été consacrés à Heyvaert. Tout est abîmé… Pour moi une commission de quartier est juste une formalité pour dire qu’on a consulté les gens. Je pense que les choses se décident ailleurs. Le rôle de la commune est limité parce que les budgets alloués dépendent des majorités en place. Certaines optent pour plus de logements, comme lors de la législature précédente ; d’autres, comme la majorité actuelle, optent pour la « verdurisation ».
Le contrat « Petite Senne » par exemple, est assez flou pour moi. On nous a présenté un master plan (très cher), un beau projet « Jardin d’hiver » [NDLR : reconversion de l’îlot "Libelco"], mais quand tu creuses un peu, tu ne trouves que du vent. D’après ce que je sais, il y a aussi une demande de permis pour le même bâtiment afin d’y installer une mosquée.[...] Moi je connais bien la rue du Chimiste. Mon analyse après autant d’années d’observation, c’est que certains hommes politiques laissent le quartier pourrir pour que les habitants se cassent. Pourquoi ? Pour les remplacer. Par qui ? C’est quoi les projets derrière ? Tout le monde veut partir, moi aussi je veux partir, mais pour aller où ? Tout est cher. C’est à devenir fou... Il y a une politique de non droit qui s’est installée dans le quartier, l’impunité totale à tous les niveaux. »
Kobe Lootens
Habite la place de la Duchesse, Molenbeek, depuis 2009.
« Je me suis intéressé au quartier depuis le début. Le contrat de quartier « Écluse-Saint-Lazare » en était à sa deuxième année. Je suis allé à une commission de quartier (CoQ) et comme plusieurs personnes membres de celle-ci ne venaient plus, ils m’ont accepté assez vite. J’ai pu suivre la dernière partie du processus. Je dois dire que j’ai été un peu déçu par ce qu’on appelle l’implication des habitants ou la participation. Une fois la dernière réunion de la CoQ terminée, on n’a plus eu d’infos ni sur les réalisations ni sur quoi que se soit.
Ce n’est pas parce que Molenbeek s’organise mal ou que dans d’autres communes ce serait mieux. Je crois que c’est dans le système des contrats de quartiers que réside le problème. C’est quoi la participation ? C’est quoi le caractère des réunions liées aux contrats de quartier ? Clairement, elles sont informatives. Quand tu discutes avec des gens qui travaillent à la commune, tu sens quand même de la motivation pour que les choses bougent et que ça se passe autrement. Fondamentalement, notre marge de manœuvre est très réduite. Moi je considère que l’information est très importante. C’est le rôle de la commune et elle a toutes les possibilités de le faire : des grandes banderoles ou affiches, des stands dans les marchés...
On dit que seuls les bobos, les gens qui ont de l’argent et un « patrimoine culturel » participent... Dans ce genre de réunion, on voit toujours les mêmes têtes, la même classe sociale, et c’est vrai que dans un quartier pauvre, les préoccupations des gens sont orientées vers autres choses... C’est aux politiques de se demander de quelle manière, on peut les impliquer. »
Thérèse Hanquet
Habite Molenbeek
« Mon expérience est toute récente. J’ai commencé il y a deux ans à m’impliquer dans le contrat de quartier « Petite Senne » qui venait de commencer. La deuxième année est en cours et le programme vient juste d’être approuvé il y a quelques mois. Ce qui m’a intéressée c’est de voir comment les choix se faisaient et comment les gens étaient impliqués.
De plus en plus, les CQ ressemblent à un bétonnage. Parce que c’est plus facile, parce que si tu dois racheter un bâtiment industriel comme il y en a beaucoup ici, il faut l’assainir, négocier avec les propriétaires, etc. Il est plus difficile de maîtriser les budgets et les délais. On se retrouve parfois avec des projets qui doivent se reporter sur un contrat suivant pour lequel il faudra trouver un autre financement.
Ce que je trouve un peu dommage dans le programme, c’est qu’on aurait pu donner plus d’importance aux activités économiques, créer des ateliers, qui donnent du boulot à des personnes peu qualifiées. Si les garages partent, beaucoup de gens seront paumés. On devrait déjà commencer à créer des petits projets d’activités à taille humaine et qui peuvent donner des formations et amènent de la plus-value. »
Faouzia Chiadekh
Présidente du Conseil consultatif des locataires du Foyer Schaerbeekois
« Membre dès sa création de la commission du contrat de quartier durable Helmet, je conteste la manière dont les plans finaux du square Apollo ignorent les besoins élémentaires des habitants des 2 tours Apollo, malgré mes interventions répétées. Depuis mes protestations je n’ai plus reçu d’invitation aux réunions. Dans cette commission, j’ai tout au long de l’année exprimé les besoins des habitants des tours Apollo que je représente. [...] Or je constate que dans le plan final, les espaces de jeux et les espaces de convivialité sont ridicules…
Je souhaite protester contre la façon dont se sont déroulées les réunions de la commission de quartier en 2010. De nombreuses propositions d’habitants y étaient censurées, comme celle d’un terrain de jeux de ballons, de foot, sur la bien nommée « place du jeu de balle », à bonne distance des tours, ce qui évite les nuisances. Je conteste les projets de plan présentés par la suite aux habitants en 2013 et que je n’ai jamais approuvés, ni ne trouve trace d’approbation de ces plans finaux dans les PV de la commission. »
Séverine Balle
Habite le quartier Helmet à Schaerbeek.
« J’ai été vivement intéressée par le projet de contrat de quartier. J’ai ainsi assisté aux trois premières réunions de quartier ainsi qu’à deux assemblées générales. Si j’ai arrêté de participer aux réunions, c’était juste une impression générale que cela ne servait « qu’à » être informé de ce qui allait se passer. Comme d’autres habitants je regrette que l’aménagement du square Apollo ne correspond guère aux premiers souhaits exprimés par les riverains : un endroit vert et convivial, laissant une grande place aux jeux d’enfants, principalement pour les habitants des « tours » Apollo qui ne possèdent pas de jardin ni de cour.