Les années inexpérimentales
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1. Bonjour Cureghem !

lundi 15 juin 2015, par Claire Scohier

Ce mois de décembre 2014, IEB atterrissait avec ses 14 travailleurs, sa bibliothèque, ses Bruxelles en Mouvements et sa curiosité à deux pas de la place Lemmens, derrière l’Ecole des Arts et Métiers, dans le Centre Euclides, rue du Chimiste. En 40 ans, IEB a déménagé quelques fois.

Nos premiers locaux, au début des années 70, étaient situés rue d’Arlon, à proximité du quartier européen, sur le versant Est et surplombant de la ville. Début des années 80, IEB descend de sa butte dans les quartiers centraux à l’ombre de la Bourse, rue Maus et, une décennie plus tard, près de l’Hospice Pachéco, rue Marcq. 2001, IEB reprend son baluchon mais ne le pousse pas trop loin rue du Midi au cœur de la vie urbaine bruxelloise à laquelle elle est attachée.

Au fil de ces pérégrinations s’installe le désir d’être propriétaire. Après tout, IEB a 30 ans, l’âge où on achète. C’est ainsi que nous décidons en 2009 de devenir coopérateur et de nous investir dans la mise sur pied de ce qui deviendra une vitrine associative environnementale, Mundo B. IEB remonte sur la colline et renoue avec ses débuts dans un bâtiment, situé à deux pas de la Porte de Namur, qui accueille l’élite de la question environnementale mais s’avère peu perméable aux questions urbaines et sociales qui agitent IEB. L’implantation spatiale et physique n’est pas neutre et influence la nature de ceux qui nous visitent et de ceux que nous visitons. Nous n’y respirions plus suffisamment toutes les odeurs qui émanent de la ville d’aujourd’hui .

Vient l’envie de redescendre dans la vallée de la Senne dans les quartiers populaires proches du canal, là où nous tentons de relier les savoirs chauds (l’expertise d’en bas) aux savoirs froids (l’expertise d’en haut). Mais ne nous voilons pas la face, ce qui a également décidé IEB à quitter son perchoir du "Haut" de la ville, à l’instar de bon nombre d’habitants de plus en plus fragilisés, c’est le coût de l’immobilier qui grevait trop lourdement notre budget. Cureghem reste à ce titre une terre d’accueil pour ceux qui ne savent plus suivre l’évolution de la rente foncière.

C’est à cette terre et à ses habitants que nous adressons en premier lieu ce dossier. Nous connaissons encore mal notre nouveau voisinage mais nous avons pris le chemin de la rencontre avec nos premiers partenaires locaux. Parmi eux, il y a l’Union des locataires d’Anderlecht (ULAC), qui accueille ceux en quête d’un toit dans un univers urbain où le logement social semble de moins en moins faire partie du paysage, et son partenaire de toujours, le Centre de Rénovation Urbaine (CRU), qui veille à la qualité socio-écologique du bâti et mène une veille de tous les instants pour que les rénovations qui traversent le quartier bénéficient en premier lieu à ses occupants. Le Centre Euclides qui nous héberge représente lui aussi, bien au-delà de ses murs, un lieu qui pense et agit en faveur d’une économie locale.

Dans ces pages, nous évoquerons aussi le travail mené par les Ateliers urbains avec les habitants du grand ensemble de logements sociaux des Goujons ainsi que le travail de Forum Abattoir, structure née du désir de la SA Abattoir, du CRU et d’IEB d’assurer une mise en débat du devenir de ce lieu clé de Cureghem : les Abattoirs d’Anderlecht. La masse de matières récoltées sur 18 mois d’activité du Forum a fait l’objet d’un journal séparé que vous trouverez encarté dans ce numéro.

Si vous n’habitez pas Cureghem, ce dossier vous est aussi destiné car les questions qui le traversent, qui pourraient être ramenées à celle du droit à la ville, nous concernent tous. Sa couverture est un clin d’œil à ce que nous ne voulons pas : la transformation d’un territoire chaud accueillant les plus fragiles, fort de sa valeur d’usage, en une façade froide tournée vers l’élite et l’international, préoccupé constamment de sa valeur marchande.

En encadré Carte d’identité

Les 2 km² (194 ha) sur lesquels s’étend le quartier sont enclavés entre deux voies de chemins de fer au sud et au sud-ouest qui le séparent de Forest et de Saint-Gilles, un grand axe routier de la petite ceinture à l’est – en l’occurrence le boulevard Poincaré – et le canal de Bruxelles-Charleroi, au nord, qui le sépare du reste de la commune d’Anderlecht, mais aussi de la commune de Molenbeek. Son côté enclavé lui doit l’image de quartier « insulaire » présente dans les imaginaires de ses habitants [1].

Bâti sur le lit de la Petite Senne, le territoire est subdivisé en plusieurs sous quartiers : Goujons, Rosée, les Abattoirs, Pecqueur, Bara, Clémenceau (Clinique), Révision, Rossini, le Triangle. Chacun de ces sous-quartiers est caractérisé par un patrimoine architectural et urbanistique particulier, traduisant la diversité des activités passées. On y trouve tout à la fois des édifices de style Art déco, des maisons ouvrières et de grands entrepôts et anciennes fabriques, ainsi que quelques blocs de logements sociaux.

Cureghem fait partie d’une des communes les plus peuplées de la Région de Bruxelles-Capitale. L’entité comptait 25 641 habitants au 1er janvier 2011. Entre 2001 et 2009, la population a augmenté de plus de 20%. Entre 2010 et 2020, les prévisions indiquent que celle-ci va encore augmenter de plus de 20 %. Le revenu moyen par habitant, qui est de 6.896 EUR, est nettement inférieur à celui de la commune d’Anderlecht (10.939 EUR) ou de la moyenne de la Région de Bruxelles-Capitale (12.593 EUR). Or cette donne n’inclut pas les personnes dont le revenu est trop faible pour faire l’objet d’une déclaration d’impôt ou en séjour illégal.

L’activité économique y reste intense malgré la désindustrialisation. Territoire situé en zone mixte ou de forte mixité selon le Plan régional d’affectation du sol (PRAS), il est en outre bordé de deux zones affectées jusqu’il y a encore peu à l’industrie urbaine (ZIU) : Biestebroeck et Birmingham. Ces dernières ont basculé en Zone d’entreprises en milieu urbain (ZEMU) depuis l’entrée en vigueur du PRAS dit démographique. Cureghem est un des rares territoires proches du centre combinant à la fois un tissu résidentiel, de l’activité productive, du commerce, des bureaux et des hôtels. On y dénombre environ 20.000 emplois suffisamment pour employer la population active qui habite le quartier et pourtant le taux de chômage y est de 36% (la moyenne régionale est de 22%) et monte jusqu’à 45% chez les jeunes de moins de 25 ans.

Territoire très dense et très bâti [2], les espaces verts y sont rares et disputés. Seulement 40% de la population dispose d’un espace vert à une distance de 300 m.

Mais Cureghem ne se réduit pas à une addition de quartiers ou à des moyennes statistiques, c’est bien plus que ça !

Notes

[1] « Le quartier Heyvaert : une île », 2012, Éditeur : le Collège des Bourgmestre et Échevins de la commune de Molenbeek-Saint-Jean.

[2] Son taux d’imperméabilité est proche de 90%.

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