Les années inexpérimentales
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3. Contrats de quartier : du laissez-faire à l’exclusion ?

samedi 23 mai 2015, par Muriel Saco

Depuis une vingtaine d’années, on constate le retour de l’intervention publique communale à Cureghem avec des politiques publiques telles que le Développement social des quartiers (DSQ), les Contrat de quartier ou la Politique fédérale des grandes villes. Comment ces politiques publiques ont-elles transformé le quartier ?

La polysémie du quartier

L’acception du terme quartier dans les politiques publiques est diverse [1]. D’abord, le quartier peut être considéré comme un lieu de vie influant sur l’égalité des chances pour réaliser la mixité sociale. Il faut alors disperser les populations défavorisées à l’échelle de la ville, attirer de nouvelles populations ou élever le niveau de vie des populations résidentes. Le quartier s’entend aussi d’une unité territoriale qui permet d’orchestrer et de coordonner les politiques publiques. Enfin, le quartier peut être le lieu de pratiques et de représentations des habitants, comme vecteur de liens sociaux que les politiques locales servent à activer. Il est de ce fait producteur de proximité et permet aux populations résidentes de peser sur les décisions les concernant à travers la formation de coalitions.

Aujourd’hui, Cureghem devient un lieu de concentration de l’action publique, au service d’un projet principalement régional et dont le contenu est principalement défini par des acteurs supra-locaux. Il n’est pas devenu le support d’un développement local endogène. Ce texte vise à identifier les éléments expliquant le passage de l’abandon au réinvestissement de ce quartier populaire comme échelon de mise en œuvre de l’action publique, sans nécessairement se fonder sur la troisième acceptation du quartier intéressant les habitants aux prises de décision.

Chasser les nuisances

En soi, la mise à l’agenda communal du quartier Cureghem, par le biais du DSQ et des Contrats de quartier (Rosée, Péqueur-Aviation, Chimiste, Conseil, Lemmens et Compas), a contribué à l’évolution des représentations du quartier dans le chef des acteurs communaux, en « créant un nouveau projet » pour cette portion du territoire communal. Toutefois, cela ne signifie pas que ce changement de projet s’accompagne d’une image positive des populations et acteurs du territoire. Les premiers Contrats de quartier (CQ) se situent dans une perspective de rénovation des espaces publics et des logements, mais aussi de pacification de l’espace public notamment en finançant des projets à destination des jeunes tels que des équipements collectifs et des activités socio-sportives. Les CQ Conseil et Lemmens inaugurent un tournant. En effet, l’appel à la cohérence et à des pratiques et recettes architecturales et urbanistique de rénovation modélisées est beaucoup plus présent. Il ne s’agit plus seulement de rénover des édifices, de combler les dents creuses et de pacifier les espaces publics, mais également de limiter certaines activités considérées comme néfastes, telles que le commerce et l’entretien de voitures d’occasion ou celui d’objets de deuxième main [2] ou encore le zonage des jeunes. Des projets compatibles avec la fonction résidentielle ou renforçant le maillage vert sont nécessaires visent in fine la sécurité et la cohésion sociale du quartier.

Le rôle des élus communaux

D’autres facteurs concomitants interviennent dans cette mutation du projet politique. Celle-ci n’aurait pu s’accomplir sans des changements au sein des élites politiques communales. Ceux-ci sont de trois ordres. Le premier est bien sûr le retrait de certains élus de la vie politique communale. En effet, certains élus, tels que le Bourgmestre de la commune au cours des années 1990, ne considéraient pas utile d’intervenir dans le quartier car ils vouaient le quartier à la démolition [3]. D’autres s’assuraient du soutien des commerçants du quartier. Ceux-là peuvent être classés parmi les partisans du laissez-faire à Cureghem. Ce groupe s’est progressivement retiré de la vie politique en raison de son âge. Le deuxième changement est certainement la conversion de certains d’entre eux à l’idée d’une intervention dans le quartier. Le passage par des fonctions régionales a permis à ces derniers de prendre la mesure de la nécessité d’améliorer substantiellement la fonction résidentielle et de la possibilité d’obtenir des financements pour leur commune par ce biais. Ils ont également changé de répertoire discursif à l’égard des habitants du quartier. Toutefois, leurs conduites laissent parfois perplexes, il suffit de penser à l’opération de tolérance zéro de 2010. Enfin, le troisième mouvement s’opère avec l’arrivée d’élus plus jeunes promouvant de nouveaux modes de vie plus urbains, peu compatibles avec l’équilibre existant entre les activités économique et résidentiel dans un quartier qu’ils vouent essentiellement à la fonction résidentielle. Ainsi, ces trois éléments ont mené à la conversion des autorités communales à la vision régionale du territoire et des quartiers péricentraux.

Le formatage des contrats de quartier

Ensuite, les bureaux d’études ont affiné l’expertise proposée en matière de mobilité ou de verdurisation pour remporter les appels d’offre. Pour ce faire, ils ont diversifié les outils de diagnostic en incluant des méthodes plus participatives, telles que les marches exploratoires, et recouru à des modèles urbains connus pour illustrer leurs propositions de transformation des quartiers adaptés à des modes de vie urbain. Ils ont également appris à proposer des perspectives qui plaisent tant à la commune qu’au gouvernement régional, de ce fait, ils excluent les propositions susceptibles d’être rejetées. Leurs marges de manœuvre sont ainsi réduites en termes de diversité de directions. Par ailleurs, déjà bien mobilisé par le DSQ, les acteurs associatifs et les habitants ont adapté leurs répertoires d’action au dispositif. Les interventions orales dans les assemblées des CQ se sont centrées sur les plaintes relatives aux nuisances, à la sécurité, à l’environnement ou encore dégradation de l’espace public.

Enfin, d’autres facteurs expliquant ce changement proviennent directement du niveau régional. Ainsi, la révision du cadre réglementaire effectué au niveau régional a détaillé assez précisément les étapes, les procédures, les délais ou encore les objectifs et les moyens de les atteindre. Ce grand mouvement de rationalisation signifie également une marge de manœuvre de moins en moins grande laissée à l’échelon local pour influer sur le programme des CQ. Les objectifs d’adaptation de ces espaces aux styles de vie des classes moyennes et aux normes de petits commerces de proximité en vue de créer une atmosphère de villages en ville sont apparus de manière de plus en plus claire. De ce fait, les autorités régionales ont proposé une solution alternative à la rénovation et à la régulation de l’existant à travers ces plans régionaux. Le plan Canal de l’architecte Chemettoff et promu par le gouvernement régional en est l’exemple le plus récent.

Faites place !

Ces derniers éléments montrent à quel point le pouvoir régional a un impact important sur une politique qui était initialement placée sous l’égide du développement social et endogène des quartiers. En forçant à puiser leurs projets dans les bureaux d’études et à l’étage régional, les CQ à Cureghem ne sont pas le lieu d’élaboration d’un projet politique territorial. Certes, les CQ ont renforcé la structuration du monde associatif et des habitants de Cureghem, mais plus en attisant la conflictualité entre les acteurs politiques et administratifs communaux d’un côté, et les acteurs associatifs et les habitants, de l’autre. De plus, il semble que certains d’entre eux doivent partir pour laisser la place à des habitants plus conformes à ce nouveau projet pour le quartier et des modes de vie qu’il exige. Ainsi, les CQ consacreraient-ils le passage pour Cureghem du laissez-faire à l’exclusion de certains de ces habitants ?

Notes

[1] A. Germain et Ph. Estèbe, 2004, « Présentation : Le territoire, instrument providentiel de l’Etat social », in Lien social et politiques-RIAC, n° 52, pp. 5-10.

[2] M. Rosenfeld, 2009, « Visiblité et invisibilité de l’implantation spatiale du commerce d’exportation de véhicules d’occasion à Bruxelles », e-migrinter, n° 4

[3] M. Sacco, 2010, « Cureghem : de la démolition à la revitalisation », in Brussels Studies, n° 43, 25 octobre 2010

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