Mohamed Benzaouia et Jérôme Matagne 10 mars 2015
La vitrine flatteuse du piétonnier (qui peut dire qu’il est contre les piétonniers ?) cache évidemment des conséquences fortes en matière de mobilité. Il faut pourtant oser dire que ces conséquences sont fâcheuses : des petites rues historiques seront transformées en mini-ring ; 4 chantiers de parkings souterrains encourageront le trafic automobile ; la stib sera refoulée hors de l’hyper-centre ou perdra ses sites propres ; les personnes à vélos sont repoussées parmi les autos. Toutefois, le piétonnier et le plan de circulation qui l’accompagne ne répondent pas prioritairement à des objectifs de mobilité mais bien à un projet socio-économique. D’ailleurs, la première fois que ce piétonnier nous a été présenté, il ne constituait qu’une partie d’un plan plus vaste de « revitalisation économique et commerciale ». Ce jour-là, il nous a été expliqué que la Rue Neuve avait perdu la place enviée d’artère commerçante la plus fréquentée du royaume au profit du Meir d’Anvers : il fallait réagir.
C’est donc obnubilée par le « benchmarking » concurrentiel que la Ville veut doper son attractivité (et donc aussi ses finances) en misant tout sur le « citymarketing ». Il s’agit d’une part d’attirer de grandes enseignes commerciales en leur offrant un nouvel écrin tout le long du Boulevard Anspach. Et d’autre part, de créer un espace public vaste et assez dégagé pour accueillir en toutes saisons des événement phares, tels les plaisirs d’hiver et les robes de Lady Gaga. Les intentions du projet ne font pas de doute mais ses conséquences potentielles pour les habitants et les commerces restent bien plus nébuleuses. Si ces deux mécanismes rompent l’équilibre commercial et éjectent les commerces actuels, c’est tant mieux : ils ne correspondent pas à l’image chic et choc que la Ville a d’elle-même. Si ces deux mécanismes aboutissent à chasser les habitants actuels et à faire grimper les loyers, c’est tant mieux : la Ville compte bien « élargir son assiette fiscale » en attirant une nouvelle population branchée et fortunée qui payera des impôts – au contraire des prolos qui habitent aujourd’hui en plein centre.
Circulez, il y a tout à voir !
Le Bourgmestre, Yvan Mayeur, et tout le Collège jouent jusqu’à présent le jeu de la solidarité : c’est le projet-phare de la législature. Tout semble ficelé, Freddy Thielemans, bien élu, quitte le navire quelques mois après les élections et adoube Yvan Mayeur qui, dès son intronisation à la tête de la Ville, dévoile son plan : il veut aller vite pour prendre les « râleurs » de vitesse. Il annonce l’arrivée du projet au pas de charge : sans dialogue avec les habitants, la société civile ou les acteurs économiques ; sans concertation préalable.
A propos de cette absence de concertation, la Ville n’est pas (non plus) d’accord avec nous. Car, pour faire bonne figure, elle a bel et bien organisé un « processus de participation ». Mais c’est du bluff : les soirées d’information, ateliers participatifs et micro-trottoirs ficelés à la va-vite auraient plutôt dû s’appeler « processus de manipulation ». Si le public n’a pas accès aux données techniques ; s’il ne peut pas discuter des principes de base du projet mais seulement de son esthétique ; si la parole n’est pas libre lors des débats publics : il ne peut pas s’agir de participation. Personne n’est dupe.
Face à cette mascarade, IEB est révulsé. La démocratie participative est sa raison d’être, la prise en compte de la voix des habitants est son fondement. Ce déni de démocratie ne s’avale pas. D’autant moins que depuis 41 ans, depuis sa création, notre fédération et tous ses membres réclament davantage de place pour les piétons. Certes, tous ne fantasment pas sur un giga-piétonnier. Mais des amis proches, tel le Bral, ont ouvertement milités pour un Anspach Park, que la Ville reprend aujourd’hui à son compte, en le dénaturant. Il n’est pas possible dans cette matière de nous accuser d’être « contre-tout ». Cette tactique de délégitimation habituelle ne marche pas car un piétonnier, même giga, ne constitue aucunement une excuse pour livrer la ville aux promoteurs et ré-ouvrir la voie à la voiture individuelle. Mais surtout, par-dessus tout, un piétonnier, même giga, ne justifie pas de fouler aux pieds les principes démocratiques qui régissent les procédures d’urbanisme. IEB est pour une réelle co-construction de la Ville. Pour un vrai débat, en pleine connaissance des données techniques et des chiffres. IEB, ses membres et ses amis veulent être traités en adultes.
www.platformpentagone.be
La Ville veut passer en force. Malgré cela, ou à cause de cela, la vigueur de la mobilisation citoyenne est inouïe. Peut-être même inédite depuis la mythique bataille des Marolles. IEB est dépassé de toutes parts : ses comités membres participent bien au combat mais de nouveaux collectifs se créent spontanément, s’organisent et agissent. La plupart d’entre eux se fédèrent sous une bannière commune : la Platform Pentagone. C’est la vitalité de cette plate-forme à laquelle nous avons voulu rendre hommage dans les pages qui suivent, en compilant et diffusant des textes écrits par plusieurs de ses composantes. Nous tenons à féliciter tous les acteurs de cette plate-forme et à remercier ceux qui ont collaboré à la rédaction des pages de ce Bruxelles en mouvements.
En ce mois d’avril 2015, nous sommes en plein dans l’actualité mais seulement au début de la bataille. Ce dossier spécial ne clôturera certainement pas le débat ni ne figera les positions de chacun : il ne constitue qu’un état des forces en présence, un arrêt sur image au milieu d’une partie de poker menteur. Tout est encore à gagner. Il est encore temps de prendre part. Il n’est peut-être pas impossible que nous finissions par être respectés.