Les années inexpérimentales

Parc Anspach

mercredi 11 juin 2014, par Thierry Kuyken

Les choix qui sont posés pour l’aménagement d’un espace public ne sont pas neutres. Ils déterminent clairement les fonctions qui pourront y voir le jour et l’utilisation qui pourra en être faite.

Une approche fort en vogue ces dernière années dans l’aménagement urbain, à Bruxelles comme ailleurs, est la réalisation d’espaces publics (semi)piétonniers, les plus ouverts possibles, donc sans aménagement trop spécifique, avec peu de mobilier urbain, pas trop d’arbres... L’objectif de cette approche est évident : laisser une grande flexibilité quant à l’utilisation de ces espaces. Mais, si on optait pour un aménagement plus contraignant, en acceptant de perdre une partie de cette flexibilité au profit de la réalisation de quelques fonctions spécifiques, tels des aires de jeux, la présence d’eau ou de verdure,... cela offrirait aux usagers des fonctions qui, dans un aménagement ouvert, ne seraient pas présentes.

Ces fonctions ne sont pas sans importance, surtout celle de la nature en ville. Les recherches démontrent de manière frappante l’impact de la nature sur le fonctionnement humain [1]. Un environnement verdoyant exerce une influence positive sur les affections cardiovasculaires, les douleurs de nuque et de dos, les problèmes neurologiques et de digestion. L’effet bénéfique de la nature sur le niveau de stress, les dépressions, l’espérance de vie, l’obésité... a été constaté à plusieurs reprises. La présence de vert a même un impact sur notre comportement, notre sentiment d’intégration sociale et d’appartenance. Une incidence directe sur le nombre de procès-verbaux dressés pour bagarres, agressions, vols et homicides a été constatée [2].

Tous ces effets ne sont pas attribuables qu’au simple exercice physique ; selon une autre étude [3], une demi-heure de promenade dans les bois serait deux fois plus bénéfique pour les patients diabétiques que trois heures de vélo ! De nombreux urbanistes et responsables politiques continuent à considérer la nature comme un simple élément décoratif et agréable de la ville. Comme quelque chose de joli, de sympathique mais pas d’essentiel. Ils se trompent ! Les scientifiques parlent même de ’Vitamine V(erte)’, qui serait aussi importante que les vitamines contenues dans les aliments [4].

Parc Anspach ?

Si Bruxelles-Ville aménage les boulevards centraux dans le pentagone avec pas mal de vert, elle répondra à un besoin. Les quartiers du pentagone et de la première couronne souffrent en effet d’un grand manque d’espaces verts. Seuls 0 à 10% de la superficie des îlots y est occupée par de la végétation, contre une moyenne de 50 à 90% pour les quartiers de l’Est de la capitale. Il n’est donc pas surprenant qu’une étude réalisée pour Bruxelles Environnement montre que la population des quartiers centraux est très insatisfaite par l’offre en espaces verts [5]. Un aménagement vert des boulevards pourra combler une partie de cette lacune. Et comme il n’y a plus de réserves foncières au centre-ville (à part la friche de Tour & Taxis), l’espace public doit être considéré comme la seule grande opportunité qui nous reste (avec les toitures).

Ce choix n’est pas improbable. L’accord de majorité au début de cette législature prévoyait la plantation d’arbres et autres plantes dans l’espace public de manière systématique, dans chaque projet de réaménagement. Fin janvier, la Ville nous a communiqué que « la végétation est un excellent moyen de structurer l’espace, en particulier dans un environnement piétonnier. (…) D’un point de vue végétal, ce nouvel espace piétonnier accueillerait des parterres et massifs fleuris dont l’aspect visuel change selon les saisons. »

Par contre, d’autres signaux venant du collège de la Ville font écho d’un choix d’orientation vers un aménagement plutôt ouvert et minéral. Dans une communication de la Ville on peut lire que « l’aménagement d’un vaste espace ouvert susceptible d’accueillir des évènements et des manifestations de grande ampleur sera également étudié ». Ce n’est pas du tout idiot, loin de là. On doit reconnaître que l’espace public dans une ville exerce plusieurs fonctions, entre autres accueillir des évènements, et qu’il se doit donc d’avoir un aménagement multifonctionnel. Mais ce qui nous inquiète est que le palmarès de la Ville est loin d’être positif quand à la gestion et à l’organisation de ces grands événements. La pression de « Plaisir d’Hiver » et tutti quanti sur l’habitat du centre ville augmente d’année en année, au point de nuire grandement à la qualité de vie pour les riverains, et ce pendant une grande partie de l’année. Par ailleurs, lorsque le collège décide que les arbres ne pourront pas gêner l’organisation d’évènements, il envoie un signe fort négatif quant à son engagement à veiller à un équilibre entre les fonctions et en particulier entre la fonction ‘événements’ et les autres fonctions de l’espace public, y compris le vert.

On pourrait voir ce choix aussi comme le choix entre une vision qui laisse plein de possibilités qui sont essentiellement intéressantes pour les utilisateurs non-riverains (touristes, consommateurs...) et un aménagement qui crée en permanence une qualité d’habitat et de séjour et un bien-être pour la population locale. Effectivement, même si les touristes pourront aussi bénéficier de la présence du vert, le bénéfice le plus marquant sera pour les habitants des quartiers autour du boulevard qui n’ont pas accès à du vert dans les environs.

Et les prix des loyers ?

Il y a bien sûr une condition pour que ce soit les actuels habitants du centre ville qui puissent bénéficier de l’impact positif de ce vert. Ils devront pouvoir faire face à la hausse plus que probable du prix des logements qui découlera du réaménagement et de la verdurisation des espaces publics dans le quartier. Difficile néanmoins de savoir dans quel ordre de grandeur se situera cette augmentation ! C’est ce qui ressort de l’analyse des résultats de différentes études menées dans plusieurs pays et différents contextes. Elles montrent des résultats très fluctuants, allant d’une hausse de quelques pourcents à un peu plus de 20% [6]. Par exemple : dans les quartiers défavorisés, la présence d’espaces verts entraîne une moindre hausse des prix que dans d’autres quartier (!) [7]. Evidemment, la forme ou la taille d’un espace vert ont aussi leur importance.

Le réaménagement en piétonnier des boulevards du centre entraînera de toute évidence une hausse des prix des loyers. Ce que nous posons comme question ici, est quel serait l’effet d’un aménagement orienté multifonction et événements sur les prix, puisqu’il exercera immanquablement un effet d’attractivité sur la zone depuis l’ensemble de la Région, voire au-delà, que ce soit en tant que simple usager consommateur d’espace public et de divertissements ou en tant que nouvel habitant à la recherche d’un cadre de vie animé.

Quoiqu’il en soit, les pouvoirs publics se devront de combiner le réaménagement du boulevard Anspach avec une politique de logement volontariste. Ville et CPAS peuvent et doivent, en tant que propriétaires de nombreux immeubles du centre ville, contribuer à maintenir le prix des loyers aussi bas que possible, afin que demain, les habitants actuels puissent eux aussi profiter d’un réaménagement de qualité des boulevards du centre.

La publication ’Impact social du vert urbain’ sera bientôt disponible sur www.bralvzw.be.

Notes

[1] Lisez entre autre : Kuo, 2010 : Parks and Other Green Environments : Essential Components of a Healthy Human Habitat, ; Tzoulas, 2007 : Promoting Ecosystem and Human Health in Urban Areas using Green Infrastructure : A Literature Review ; Aertsens et al, 2012 : Daarom groen ! Waarom u wint bij groen in uw stad of gemeente

[2] Kuo & Sullivan, 2001 : Environment and Crime in the Inner City : Does Vegetation Reduce Crime ?

[3] Kuo, 2010 : Parks and Other Green Environments : Essential Components of a Healthy Human Habitat

[4] Maas J, 2008 : Vitamin G : Green environments - Healthy environments

[5] Rapport sur l’état de la nature en Région de Bruxelles-Capitale, septembre 2012, Bruxelles Environnement

[6] Voir entre autre Aertsens et al, 2012 : Daarom groen ! Waarom u wint bij groen in uw stad of gemeente

[7] Donovan & Butry, 2011 : The effect of urban trees on the rental price of single-family homes in Portland, Oregon. In : Urban Forestry & Urban Greening 10 (2011) 163– 168

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