Les années inexpérimentales
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7. Entretien avec Abderrazak Ben Ayad.

lundi 19 mai 2014, par ieb-equipe

Coordinateur du Centre de Rénovation Urbaine (CRU) et de l’Union des Locataires d’Anderlecht-Cureghem (ULAC), actif depuis plus de 20 ans à Cureghem.

- Que retenez-vous de cette longue expérience ? D’abord, il faut bien avoir en tête la situation d’une Commune pauvre comme Anderlecht, qui est sous tutelle financière et ne peut presque plus emprunter. Ceci fait que la Commune n’a aucune possibilité de mener une vraie politique de rénovation de ses quartiers, à moins de vendre quelques « bijoux de familles » ou bien d’essayer de conclure des accords avec des promoteurs privés, en leur cédant des terrains à bas prix par exemple. Mais, pour l’essentiel, la rénovation urbaine à Anderlecht, c’est juste de l’entretien. Pour investir, faire des projets de logements ou créer des infrastructures, la Commune doit nécessairement compter sur des financements régionaux (les Contrats de Quartiers, en particulier) ou provenant d’autres niveaux de pouvoir, comme les fonds de la Politique des Grandes Villes de l’État fédéral ou du FEDER de l’Europe.

- Comment se passent les Contrats de Quartiers, dont beaucoup font l’éloge ? Pour les Contrats de Quartiers (CQ), c’est d’abord la Région qui pousse la Commune à faire des projets dans des quartiers comme Cureghem. Mais il faut encore que la Commune soit organisée pour que les fonds du CQ (environ 15 millions d’euros par contrat) soient effectivement dépensés pendant la durée du contrat (4+2 ans). À Anderlecht, il y a eu beaucoup de ratages, comme des projets qui ne peuvent pas se faire parce que la Commune n’arrive pas à racheter un bien qu’elle voulait rénover par exemple. En fait, les CQ ont été pensés en fonction des besoins et des façons de travailler de Communes comme Saint-Gilles ou Bruxelles. Là, la Commune achète avant le début du CQ, en sachant que les fonds régionaux vont suivre, et puis rénove ce patrimoine pendant la durée du CQ. À Anderlecht, par contre, quand le CQ débute, on part de zéro. On se rend compte aussi que les Contrats de Quartiers produisent très très peu de logements sociaux. En fait, il y a une règle pour les logements produits avec les fonds d’un CQ : ça doit être 1/3 moyen et 2/3 social. Dans les faits, pourtant, ce n’est pas toujours respecté. À Anderlecht, par exemple, on fait 3/3 de social, mais par facilité, pas par fibre sociale. Dans d’autres communes, à Bruxelles ou Saint-Gilles notamment, on fait moins voire pas de social du tout. Ces Communes ont un projet clair de trier la population par leur politique du logement. Pour pouvoir louer un logement dans leur régie foncière, il faut prouver qu’on a un revenu au moins trois fois plus élevé que le loyer demandé. Mais comme ils n’ont pas de logements disponibles à moins de 500 euros par mois, faites le compte… Et ça n’aide pas non plus d’avoir un nom étranger…

- Comment le CRU travaille-t-il avec ces dispositifs ? Le CRU est membre du Réseau Habitat et une de ses missions est de s’impliquer dans les Contrats de Quartiers et de soutenir techniquement les projets des habitants « infrastructure, logement, etc... ». À Cureghem, il y a 40% de chômage, la population est souvent très peu formée et il y a beaucoup de problèmes dans les logements. Notre travail vise donc à associer la population à la rénovation et à l’insertion socioprofessionnelle. Nous voulons que la rénovation urbaine profite d’abord aux populations locales, par des retombées en termes d’emplois, de formations et des logements adaptés.

- À ce propos, on parle souvent des AIS, les Agences Immobilières Sociales... Oui, on a réalisé plusieurs rénovations de bâtiments publics qui étaient vides et très dégradés, et que l’on a donnés ensuite en gestion à une AIS. C’est un dispositif qui a été lancé il y a presque 20 ans. L’idée à la mode, à ce moment-là, c’était de dire que les méthodes du privé sont toujours plus efficaces pour gérer le logement, d’où le nom « Agence Immobilière », même dans un but social. Mais ce n’est sûrement pas cela qui va apporter la solution, car les AIS restent un dispositif très limité. En nombre d’abord (environ 3.000 logements pour toute la Région – NDLR), et puis dans la démarche. En fait, cela ne marche facilement que pour les logements en bon état, où il n’y a pas de gros travaux à réaliser, et qui sont déjà amortis financièrement. Dans ce cas-là, on a des propriétaires qui sont contents d’avoir une AIS, parce que leur logement est entretenu, ils ne doivent pas se soucier de trouver des locataires, et ils reçoivent quand même un loyer garanti.

- Aujourd’hui, on parle plus d’un autre dispositif : le Community Land Trusts (CLT)... Le CLT, c’est le dispositif à la mode d’aujourd’hui. On dit, la solution à la crise du logement, c’est « tous propriétaires ! », même pour les pauvres. Mais comme ils n’ont pas le moyens, on invente une sorte de demi-propriétaire. C’est ça, le principe du CLT. L’idée, en soi, pourrait être sympathique, mais seulement si elle est appliqué à grande échelle, pour tous les terrains appartenant aux pouvoirs publics par exemple. Dans la situation actuelle, on subventionne seulement quelques « opérations-pilotes ». Bien sûr, on ne répondra jamais de cette manière à la demande des 44.000 familles qui attendent un logement social à Bruxelles.

- Et les primes à la rénovation, ça fonctionne ? Les primes à la rénovation de la Région, c’est un dispositif qui ne marche pas dans un quartier comme Cureghem, auprès des propriétaires occupants qui ont pu acheter il y a 15 ou 20 ans par exemple. Faire les travaux soi-même, avec la famille ou des connaissances, ça coûte au final moins cher et c’est plus rapide que faire tout avec des devis officiels et des primes. Et puis, il y aussi le problème du préfinancement des travaux : pour avoir une prime, il faut en effet avancer l’argent des travaux. Enfin, et surtout, il y a un grand manque de confiance. Quand on leur dit qu’ils peuvent retoucher entre 50 et 80% du coût des travaux « publicité mensongère » (document Réseau Habitat), ils se disent qu’on va leur reprendre ailleurs. En fait, les primes à la rénovation ne marchent bien qu’avec des ménages capables de préfinancer les travaux.

- Il est encore souvent question des « marchands de sommeil ». Que peut-on faire ? On touche ici un cercle très vicieux. Dans un quartier comme Cureghem, par exemple, il y a beaucoup de logements anciens, détenus par des bailleurs privés, en mauvais état, voire carrément insalubres. Mais ce sont les seuls accessibles quand on peut juste payer un petit loyer. Et encore, maintenant, un petit loyer, c’est déjà vite 400 ou 500 euros. Parmi ces locataires, il y en a de plus courageux qui ont les ressources pour oser se plaindre de l’état du logement. Ceux-là, on les aide à se défendre, à faire une plainte pour faire venir l’inspection régionale. Mais on sait bien que si cela débouche sur une obligation pour le propriétaire de faire des gros travaux, au final le loyer va augmenter. S’attaquer aux marchands de sommeil, dans l’état actuel des choses, cela revient à fragiliser encore plus les ménages les plus précarisés, car il n’y a pas de possibilités de relogement des personnes qu’on pourrait sortir de ces logements. Au final, ces familles partent ailleurs.

- Pour terminer, quelle conclusion tirer de la politique de rénovation urbaine à Bruxelles ? A Bruxelles, on n’a pas de politique de rénovation urbaine car la politique que l’on a ne répond pas au vrai problème de fond. Il y a dix ans, on était à 25.000 inscrits sur la liste d’attente du logement social. Aujourd’hui, on a dépassé 44.000, et ça va encore augmenter. Alors, qu’est-ce qu’on attend ? Les CLT, les AIS, le Fonds du Logement, les Contrats de Quartiers,... tout le monde chatouille le monstre de son côté, mais personne ne s’y attaque vraiment. D’ailleurs, l’ensemble du budget alloué aux associations de première ligne (les Unions de locataires, Habitat et Rénovation, La Rue, Bonnevie,...) représente à peine 2 millions par an, pour 30 associations1 ! En fait, les seuls budgets conséquents d’investissement, ils sont mis dans la production de logements moyens, tandis que le logement social est empêtré dans l’entretien ou la rénovation de son parc (39.280 logements, dont 3.400 sont vides ou en rénovation, surtout construits dans les années 1920 ou 1970 – NDLR). Bien sûr, la SDRB n’a pas de coût d’entretien ou de rénovation, elle, puisqu’elle vend aussitôt tous les logements moyens qu’elle produit à des propriétaires privés. Quel est donc le projet pour les quartiers populaires à Bruxelles ? Elle est où la part du pauvre dans tous les projets annoncés ou déjà en cours le long du canal ?

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