Le Plan-Guide fut l’occasion pour ses auteurs de se pencher sur le quartier de Cureghem bénéficiant, à ce titre, d’un Schéma opérationnel (SO). Faut-il s’étonner que celui-ci n’ait fait l’objet d’aucune consultation préalable des acteurs locaux concernés, tels que l’Union des Locataires d’Anderlecht-Cureghem (ULAC) et le Centre de Rénovation Urbaine (CRU), deux structures très actives sur ce territoire sur les questions de logements et de rénovation ? [1]
Pour ses auteurs, le schéma tire sa légitimité du fait qu’il viendrait « en exécution des options stratégiques et opérationnelles décidées dans le cadre du Plan Canal ». C’est oublier que le Plan Canal, tout comme le Plan-Guide, n’a jamais été débattu au Parlement ni soumis à consultation publique. L’un comme l’autre n’ont, jusqu’à présent, fait l’objet que d’opérations de com’ dont, tout récemment, le très pompeux « Canal Days » organisé par la Cellule Marketing Urbain de l’ADT. Nos décideurs n’ont plus besoin de consulter, ils communiquent !
Dans les grandes lignes, le SO découpe le territoire de Cureghem en 5 « mezzo-projets » qui viennent se superposer à plusieurs Contrats de Quartiers (CQ) récents, en cours ou annoncés : Lemmens (2007-2011), Ecluse-Saint Lazare (2008-2012), Canal-Midi (2010-2014), Compas (2013-2017), Petite Senne (2014-2018). Il est vrai que la Commune d’Anderlecht bénéficie d’une certaine notoriété pour sa mauvaise gestion des CQ et son incapacité à mener les réalisations planifiées jusqu’à leur terme [2]. La Région semble vouloir y mettre bon ordre... mais pour répondre à quels besoins ? Pour y faire quoi ?
Prenons l’exemple du mezzo-projet « Petite Sennette » qui épouse peu ou prou le périmètre du CQ Compas, lui-même situé dans la partie dénommée « Cureghem Rosée » dans le monitoring des quartiers. Selon ce dernier, le revenu moyen par habitant y est deux fois plus faible que le revenu moyen en Région bruxelloise. Le taux de chômage y est proche de 40% (également le double de la Région). Malgré ces indicateurs de pauvreté, la part du logement social y plafonne à 5%. Elle diminue même [3], diluée qu’elle est au sein des nombreux projets privés et publics (SDRB [4]) qui ont vu le jour dans le quartier ces dernières années.
L’un des derniers projets SDRB en date est la reconversion d’un ancien site industriel rue du Compas (n°s 17 à 41), de 10.126 m². La SDRB a acquis ce terrain en 2005 pour y développer un projet mixte combinant 8.420 m² d’activités productives et 8.068 m² de logements. Mais, en 2007, le gouvernement bruxellois approuve la 3ème phase du Plan Logement et y prévoit une affectation entièrement dédiée au logement : 74 logements SDRB, 64 logements SLRB en « locatif moyen » et la création d’un jardin semi-privatif [5]. La SLRB, seul opérateur régional de production de logements sociaux change donc son fusil d’épaule pour réaliser du « locatif moyen ». Le privilège d’être un « quartier pilote » ? Il est vrai que les coûts de l’opération risquent d’être élevés, notamment en raison de la forte pollution des sols. Y maintenir une activité productive pourvoyeuse d’emplois, comme initialement prévu, susceptible de bénéficier aux nombreux demandeurs d’emplois du quartier aurait permis des économies mais selon la SDRB, ce choix aurait porté atteinte à la « qualité du cadre de vie » des nouveaux habitants qu’elle espère attirer là. Déjà qu’ils devront subir les nuisances liées aux garages à proximité. La stratégie est limpide : préparer le terrain pour d’hypothétiques nouveaux venus en faisant, au par ailleurs, fi de la liste d’attente de 12.361 personnes pour les logements sociaux du Foyer anderlechtois.
Certains argueront que la « mixité sociale » en route dans le quartier devrait bénéficier à terme à l’ensemble des habitants. La lecture du récent diagnostic réalisé dans le cadre du CQ Compas ne plaide pas en faveur de cette interprétation. Il indique que l’accroissement du revenu moyen dans le quartier est surtout lié à l’arrivée de familles de classe moyenne avec des revenus plus élevés [6] et note que les investissements privés liés aux dynamiques de Contrats de Quartiers « concernent surtout la création ou la rénovation de logements pour de nouveaux habitants avec un pouvoir d’achat supérieur à celui de la population locale » [7], à tel point que « les nouveaux complexes de logements suite à la reconversion de bâtiments industriels deviennent parfois des enclaves (rue des Bougies, rue de la Poterie) » [8]. Le diagnostic pointe encore que « l’arrivée massive et soudaine, dans une logique top down, de logements et d’activités sans liens avec le quartier risque de générer des confrontations, des frustrations et de renforcer le repli » [9].
Il est clair que le mezzo-projet Petite Sennette du SO ne peut qu’amplifier cette dynamique en lotissant des parcelles industrielles pour y développer 717 logements dont les trois-quart seront privés ou conventionnés et en verdurisant l’ancien tracé de la Petite Senne, bordant ces futurs projets, par une percée de l’îlot D’Ieteren [10] en vue de relier deux pôles urbains sous les projecteurs : les Abattoirs et la Porte de Ninove. Le SO reconnaît la difficulté de cette entreprise dès lors qu’elle suppose le départ des installations de D’Ieteren, propriétaire du terrain et en pleine activité. L’idée n’est pas neuve. Il y aurait déjà eu une volonté d’exproprier D’Ieteren dans le cadre du contrat de quartier Chimiste (2001-2005) mais D’Ieteren s’était cramponné, empêchant la stratégie de restructuration verdurisée de l’îlot. L’idée fut ensuite reprise dans le cadre du contrat Lemmens. Le projet a de nouveau capoté suite au refus de D’Ieteren. Il est vrai que dans son rapport d’activités 2013, D’Ieteren annonce sa volonté de changer de lieu d’implantation à Bruxelles pour améliorer ses performances financières et commerciales mais rien n’est sûr quant à son souhait de quitter Cureghem. Et, si d’aventure elle le faisait, ce serait, soyons-en sûr, au prix fort. Et vu la pollution des sols à cet endroit, bonjour les coûts de viabilisation du site. Mais Citydev peut arranger les bidons en faisant un joli partenariat avec le privé qui viendra se mouler dans la coulée verte financée grâce aux nouveaux outils du Plan-Guide : les Contrats d’Îlots et autres Contrats d’Axes. Pourquoi s’échiner à produire du logement social alors que la dynamique relookée de la rénovation urbaine permettra de créer des produits d’appel pour les investisseurs privés dont l’action volontariste gommera du paysage ceux qui avaient besoin de ces logements... [11]