Les transports publics coûtent cher. Ne nous méprenons pas : l’absence de transport public coûterait encore plus cher car les infrastructures et les nuisances de la voiture individuelle sont supérieures à celles des transports en commun. Toutefois, ce constat ne doit pas interdire une réflexion critique sur les sources de financement ni une recherche de rationalité dans les dépenses.
Prenons la STIB, par exemple, bien qu’il ne soit pas aisé de démêler les apports financiers qui lui permettent de fonctionner. Chaque année, la STIB reçoit de la part des pouvoirs publics bruxellois une subvention pour l’exploitation et les investissements ordinaires. Cette dotation régionale s’élève à 485,5 millions d’euros pour l’année 2013, ce qui représente environ 20% du budget régional [1]. Malgré son ampleur, cette somme n’est pas suffisante : la STIB est forcée d’aller chercher d’autres recettes, dont principalement la tarification des titres de transport (pour 186 millions d’euros en 2012). C’est ainsi que les tarifs augmentent chaque année, suivant une courbe bien supérieure à celle de l’index. « Si d’aucuns peuvent regretter l’orientation prise par la STIB en matière de tarification, on ne peut pas la blâmer d’utiliser les outils mis à sa disposition par la Région. D’autant plus que le gouvernement bruxellois possède le droit en dernier ressort de refuser le plan tarifaire proposé par les organes de gestion de la STIB » [2]. Cette inflation relève bien d’un choix politique, indolore pour l’usager dont l’employeur paye l’abonnement, mais qui pèse lourd dans le portefeuille des ménages à faibles revenus pourtant de plus en plus nombreux à Bruxelles.
J’fais des trous
Ces recettes ne recouvrent que les frais de fonctionnement : il s’agit de payer le personnel, de remplacer le matériel roulant, de procéder à des travaux... En surplus, il y a tous les investissements « extraordinaires », et notamment tous les frais d’infrastructures lourdes qui sont comptabilisés dans une enveloppe séparée et ne ressortent pas du budget de la STIB. L’automatisation des lignes de métro 1 et 5 ainsi qu’un nouveau métro vers Schaerbeek sont annoncés sans qu’on sache où trouver le premier euro pour les travaux (sur plus de deux milliards d’euros nécessaires). Exorbitant, le financement de ces infrastructures pharaoniques est impensable pour la Région bruxelloise. Des pistes sont envisagées par le récent contrat de gestion conclu entre la Région et la STIB, mais elles ne sont pas forcément rassurantes. Passons-les en revue.
La STIB devra faire des économies de fonctionnement pour dégager des moyens supplémentaires pour investir. Cela semble toutefois contradictoire avec l’augmentation de passagers qu’il lui est imposée et risque de se faire aux dépens des services les moins rentables et d’une pression à la productivité pour les travailleurs.
On pourrait compter sur une augmentation de la dotation annuelle mais c’est être optimiste quant à l’état des finances régionales et des négociations budgétaires annuelles. Il est également question de recourir à la manne de Beliris qui a été réévaluée suite à la récente réforme de l’État belge, mais cela sera au détriment d’autres besoins que Bruxelles a mis en avant quand elle réclamait son refinancement.
Le contrat de gestion évoque rapidement l’éventualité de recettes provenant de la tarification kilométrique des automobiles, mais les récentes réactions horrifiées émanant de tous les partis politiques à ce sujet laissent penser que ce n’est pas pour demain. À cet égard, IEB regrette qu’il ne soit pas fait mention d’un péage urbain. Bruxelles pourrait pourtant rapidement installer un péage à l’entrée et en investir les recettes dans l’amélioration des transports en commun. Dans le même ordre d’idées, il n’est pas non plus prévu d’utiliser les bénéfices des horodateurs, ni de l’Agence de stationnement. Cela ferait pourtant sens d’investir les recettes provenant des politiques de mobilités dans l’amélioration de la mobilité...
Ce que le contrat de gestion prévoit bel et bien, c’est de s’adresser à une banque internationale et aux investisseurs privés. Avatars d’une privatisation qui avance masquée, les Partenariats Public-Privé risquent de se multiplier malgré les mauvaises expériences vécues en Belgique et à l’étranger (notamment avec le Diabolo : lire l’encadré ci-contre). En effet, les PPP présentent un abord séduisant, mais finissent par révéler un coût exorbitant pour la société et servir exclusivement les intérêts du créancier.
des p’tits trous
Il ne faut pas jeter la pierre à la STIB, elle doit se débrouiller au quotidien avec un budget serré. Aussi, pour la diriger, on engage des managers qui ont fait leur preuve dans le monde de l’entreprise. On leur demande de s’intéresser à la rentabilité et l’efficacité du réseau. Il ne faut donc pas s’étonner si beaucoup d’innovations répondent à cette logique. L’idée même de service public est déjà passée au second plan. Prenons, encore, l’exemple du métro. D’un point de vue managérial, on peut comprendre pourquoi la STIB vante tant le métro. Non seulement, cela ne lui coûte rien : les gros travaux sont financés par ailleurs. En plus, cela lui assure des économies de fonctionnement : moins de personnel à payer et pas d’embouteillages. Du point de vue de l’opérateur, c’est tout bénef ! Par contre, les correspondances que le métro implique, le fait que seuls 20% des bruxellois habitent à proximité d’une ligne de métro, le désagrément de voyager sous terre : tout ça, c’est le problème de l’usager... Hélas, les développements récents vont dans le même sens. Mobib, portiques d’accès, tunnels, fréquences : la logique qui se dégage est davantage celle d’un gestionnaire que d’un serviteur. Il ne s’agit pas tant de transporter confortablement des personnes que de gérer le trafic.
encore des p’tits trous
Ce que personne ne déclare devant un micro mais qu’IEB subodore et craint, c’est la libéralisation du service et la privatisation partielle de l’outil. Conformément aux règles européennes, le rail belge ouvre la voie. On a d’abord libéralisé le trafic de marchandises puis le trafic international de passagers, sans que la concurrence ne tire les tarifs vers le bas ou n’améliore le service. Voté au Parlement européen fin février, le 4ème paquet ferroviaire ouvrira d’ici 2020 le trafic national de passagers à la concurrence. L’ouverture au marché du transport public urbain n’est pas à l’agenda européen mais une ville peut d’initiative livrer au marché des lignes, du matériel ou des dépôts, pour qu’ils soient opérés ou capitalisés par des investisseurs privés. Dès l’aube de la régionalisation, la Région bruxelloise s’est inscrite « résolument dans la pratique de “contractualisation de l’action publique” qui prend place dans le cadre de la libéralisation des services publics amorcée par l’Union européenne » [3]. L’ouverture aux PPP pourrait en être une prochaine étape. L’autorité publique n’aura plus les leviers de décision en main et se verra imposer des tarifs, un développement ou même un schéma d’exploitation par les intérêts financiers d’actionnaires privés. Nous craignons que les bénéfices soient privatisés et les dettes mutualisés : refrain connu. Au privé : les métros et trams performants vers le centre-ville ; au public : les petites lignes de bus qui desservent les quartiers résidentiels. A terme, il n’y aura plus de petites lignes du tout. Parce que nous mettons en perspective la fièvre d’investissements et les orientations de leur financement, nous craignons la perte du service public.