Les années inexpérimentales
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7. Patrimoine et néo-futurisme

mardi 11 juin 2013, par Marco Schmitt

A l’heure où nous sommes tous éloignés de ce que nous désirons par un présent qui incombe chaque jour davantage, au moment ou la modernité tend à se diluer dans les discours d’une économie hallucinée, il nous arrive encore de nous poser la question du futur, celui qui peut encore porter nos espoirs plus loin que les tristes tropismes que l’on nous sert chaque jour d’avantage.

« Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, ce n’est pas à cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c’est parce que nous sommes élevés par eux. » Jean de Salisbury (1115-1180) citant Bernard de Chartres (1130-1160)

Lors d’une rencontre avec un responsable de la Commission Royale des Monuments et des sites, nous lui avons présenté notre nouvel outil bilan-carbone-gaz-à-effet-de-serre. La conversation s’est portée sur le territoire urbain qui n’est pas seulement un patrimoine construit mais aussi et peut être surtout constitué de vides, ce patrimoine d’espaces publics dans lequel nous exerçons les usages collectifs du territoire urbain. Bientôt est apparu aussi que le patrimoine architectural, celui que nos ainés ont érigé en faisant appel à leur créativité et à des moyens importants, est aussi un investissement énergétique, celui qui a été dépensé à un moment donné et dont il serait inopportun, par les temps qui courent, de le gaspiller en vain.

Le temps long face à la rentabilité (financière) immédiate

Il faut bien reconnaître qu’en nous posant la question de savoir “à partir de quand“ démolir se justifie pour reconstruire au même endroit, nous touchons au rapport qu’aujourd’hui tient tout autant avec ce qui s’est déjà passé, qu’avec ce qui adviendra. Ceux qui limitent avec condescendance ce rapport au temps à une simple réaction face au changement doivent commencer à se méfier de leur propre méprise. Replacer l’aménagement territorial dans la continuité, faire dans le temps, avec le temps, avec du temps est une manière de mettre main sur une discipline particulièrement complexe et de se réapproprier le territoire urbain face aux impératifs du marché, aux injonctions de la finance, aux obligations de la rentabilité immédiate, aux ruptures d’une économie qui limite la perspective. Nous sommes bien dans nos missions d’éducation permanente lorsque nous cherchons à y parvenir.

Quarante années après les grandes batailles urbaines des années septante, nous voici confrontés aujourd’hui à de nouvelles hégémonies foncières immobilières et financières qui se traduisent nécessairement dans des projets hégémoniques formatés par les temps courts de la rentabilité de plus en plus immédiate. Avec notre outil d’évaluation qui n’est, somme toute, qu’une formule mathématique dans un tableau Excel, nous avons peut être inventé une manière raisonnable d’échapper au présentisme de rigueur et de revendiquer un futurisme plus enchanteur. Quarante années après avoir posé la question de comment nous devions vivre la ville en train de changer, nous tentons à nouveau de reprendre pied sur les territoires que nous habitons avec amour, mais qui nous échappent tout d’un coup si brusquement.

Sur les épaules des géants qui nous ont précédés...

Les nouveaux excès du secteur de l’immobilier sont sans doute liés à de récentes concentrations foncières dans les quartiers les plus tendus (Quartier Léopold, canal, gare du midi, ...). Ce n’est pas une raison pour baisser les bras, pour nous laisser emporter par les discours enjôleurs et les démonstrations de force. Si l’on nous vend une transformation radicale du territoire urbain sous couvert d’une adéquation aux impératifs climatiques, cela vaut alors vraiment la peine de comprendre ce que cela signifie avec plus d’objectivité et, osons l’affirmer, plus de candeur. Si l’on tente de nous persuader que le gaspillage immobilier qui consiste à détruire un bâtiment de bureau tous les 25 ans est une manière d’améliorer l’espace urbain c’est oublier que le chantier permanent que cela implique est certainement destructeur de l’espace public et des usages collectifs qui s’y pratiquent. Si l’on souhaite nous convaincre que la fuite en avant immobilière est la seule manière de faire tourner la machine économique, c’est ne pas se rendre compte que les concentrations que cela implique affaiblissent de manière durable notre capacité à décider collectivement de notre avenir.

N’oublions surtout pas que le patrimoine que nous avons constitué souvent au prix fort, cet investissement qui est à considérer avec plus grande attention est un support bien plus solide pour envisager l’avenir que les initiatives démesurées d’investisseurs déterritorialisés ; ne nous laissons donc pas noyer par les vents mauvais du moment surtout s’ils sont à ce point dirigés, orientés, intéressés ; affrontons le futur avec plus d’imagination et perchés sur les épaules des géants qui nous aurons précédés, nous pourrons peut-être un jour atteindre le septième ciel, retourner sur la lune, marcher sur la planète mars, atteindre les étoiles en regardant avec amour et fierté notre petite planète bleue.

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