Le 21 janvier 2011, les 3 régions du pays se sont accordées sur une réforme de la fiscalité routière qui prévoit l’introduction dès 2016 d’un prélèvement kilométrique pour les poids lourds et d’une vignette routière pour les voitures. L’accord envisage aussi une réforme coordonnée des taxes de circulation visant à calculer ces taxes sur base des caractéristiques environnementales du véhicule taxé.
Le prélèvement kilométrique sera basé sur la navigation satellite et les réseaux de communication sans fil (GNSS et technologie sans fil). Chaque poids lourd devra avoir une « On-Board Unit » (unité embarquée, ci-après dénommée OBU) à bord, à savoir un appareil électronique qui enregistre en permanence la position du poids lourd et qui transmet les données de localisation et de déplacement à un centre de traitement au départ duquel la facturation s’effectue sur base du nombre de kilomètres parcourus. Ce prélèvement kilométrique s’appliquera tant aux poids lourds belges qu’aux poids lourds étrangers.
La vignette routière sera virtuelle et ne nécessitera pas l’apposition d’un autocollant sur la vitre de la voiture. Il suffira aux conducteurs d’enregistrer leur plaque d’immatriculation, après quoi un réseau de caméras de contrôle installées le long des routes contrôlera en permanence, pour chaque voiture particulière, si la vignette a été acquittée, grâce à une technologie de reconnaissance automatique des plaques d’immatriculation. Le système s’appliquera tant aux voitures particulières belges qu’aux voitures particulières étrangères. Les conducteurs belges devront acheter une vignette annuelle, tandis que les conducteurs étrangers auront le choix entre une vignette annuelle, une vignette bimestrielle et une vignette 10 jours. Les automobilistes étrangers pourront s’inscrire et payer via Internet, par SMS, par téléphone ou à un guichet installé à la frontière.
Pour les automobilistes belges, la vignette pourrait être perçue en même temps que la taxe de circulation. La vignette routière s’appliquera en principe sur toutes les routes des Régions et sera introduite sous forme de taxe régionale impropre. Tous ces principes seront soumis à la Commission européenne afin de s’assurer que le modèle est conforme à la réglementation européenne.
L’élaboration, l’installation et l’exploitation du système seront confiées à une société privée (un « Single Service Provider », SSP) qui percevra une rémunération basée sur le nombre de clients actifs (OBU actives). Les modalités d’évolution de la rémunération en cas d’augmentation ou de réduction du nombre de clients actifs seront définies dans le contrat, de façon à ce que la rémunération reflète la structure de coûts du SSP. A cet égard, il sera tenu compte du rapport entre les coûts fixes et les coûts variables. Selon la note transmise aux différents gouvernements régionaux, « la liaison entre la structure de coûts et la rémunération doit permettre au SSP de maîtriser le risque de volume et devrait, selon toutes attentes, résulter en un meilleur prix pour les Régions ».
IEB s’interroge sur l’intérêt de confier l’élaboration et l’exploitation du système à une société privée qui sera en partie rémunérée sur base du nombre de voitures contrôlées, ce qui sous-entend que le SSP n’aura pas intérêt à faciliter le transfert modal. IEB plaide donc pour une maitrise publique intégrée du futur système, y compris en matière de prévention.
Bruxelles, dindon de la farce ?
Pratiquement, la structure des tarifs (appliquée tant aux camions qu’aux voitures) se basera sur deux composantes : un prélèvement d’infrastructure, pour toutes les routes à péage et un prélèvement pour coûts externes, qui se limite aux coûts générés par le pollution de l’air et les nuisances sonores induites par la circulation.
IEB note que le système proposé ne permet pas de prendre en compte d’autres coûts externes fondamentaux (congestion, financement des transports publics, des parkings, de la sécurité routière,...) En outre, il prévoit des tarifs avantageux pour les véhicules respectant les normes EURO, ce qui ne règlera en rien les problèmes de mobilité à Bruxelles.
Le prélèvement kilométrique sera calculé au minimum sur toutes les autoroutes, le réseau de transport transeuropéen et l’actuel réseau routier Eurovignette. Les tarifs seront digitalisés sous forme de zones tarifaires. Une zone tarifaire pourra être fixée pour chaque route ou tronçon routier, indépendamment de la localisation géographique. Chaque zone pourra avoir son propre tarif. On parle d’une taxe kilométrique « camion » de l’ordre de 0,10 à 0,20 euros par kilomètre parcouru.
En ce qui concerne les voitures immatriculées en Belgique, la vignette prévoit le prélèvement d’un tarif uniforme sur toutes les voitures, quelle que soit la situation géographique et le nombre de kilomètres parcourus. On parle d’un prélèvement de 50 à 100 euros par an, avec une intention affichée de réduire d’autant l’enveloppe correspondant à la taxe de circulation, avec d’éventuels transferts de taxes des voitures les moins polluantes vers les voitures les plus polluantes.
Il faut noter que, dans la formule proposée, la taxation des camions ne générera pratiquement aucun revenu pour Bruxelles. En effet, malgré des frais d’infrastructure très élevés, Bruxelles n’accueille que 1,6% des kilomètres parcourus par les camions. Si elle n’est rétribuée qu’à hauteur de cette seule proportion, la spécificité de Bruxelles sera niée.
IEB remarque également que les Régions sont responsables des contrôles. Les contrôles en région bruxelloise présentant des difficultés techniques liées à sa densité de bâti seront plus chers et le retour sur investissement risque d’être inférieur à celui des autres régions.
Il faut augmenter la pression fiscale sur les voitures et instaurer un péage urbain.
La notion de neutralité fiscale, prônée par tous les gouvernements régionaux, est sujette à diverses interprétations. Pour ce qui concerne les véhicules individuels immatriculés en Belgique, IEB doute de l’intérêt d’appliquer une règle de neutralité fiscale au niveau de la taxation automobile car celle-ci ne poussera pas au changement de comportement et au transfert modal, elle permettra tout au plus de « verdir » le parc automobile existant. Si le principe de la neutralité fiscale devait être politiquement incontournable, IEB plaide pour un niveau global d’imposition constant, permettant par exemple d’éventuels allègements de la fiscalité sur le travail ou sur les taxes d’habitation des Bruxellois qui font le choix de déplacements « domicile-travail » vertueux.
IEB rappelle par ailleurs que le gouvernement bruxellois a voté le plan Iris2 qui invoque la nécessité de mettre en place un système de péage urbain à Bruxelles pour atteindre les objectifs de réduction de la pression automobile à Bruxelles. La récente étude de mobilité du quartier européen préconise d’ailleurs la même mesure. Rappelons enfin que selon l’étude STRATEC commandée en son temps par la Région bruxelloise, la mise en œuvre du RER nécessite elle-même une série de mesures d’accompagnement parmi lesquelles l’instauration d’un péage urbain.
A ce stade, il est difficile de se prononcer sur un système dont seuls les éléments techniques sont présentés. Il règne encore le plus grand flou sur l’adéquation de celui-ci avec les objectifs politiques de la réforme. Des objectifs politiques qui posent encore de nombreuses questions. On parle d’une politique plus efficace et plus durable, qui devrait être accompagnée de mesures complémentaires sur la taxe sur la circulation et d’un test « grandeur nature » de tarification au km pour les véhicules légers en région bruxelloise. Nous ne disposons d’aucune information valable sur ces mesures d’accompagnement. IEB émet de solides doutes sur la faisabilité technique (un OBU dans chaque voiture individuelle), politique (accord entre les Régions pour que les automobilistes wallons et flamands s’équipent d’un OBU) et légale (qu’en pense l’Europe ?) de ce système.
Le système proposé dès 2016 pour les voitures individuelles permettrait par contre une taxation de type zonée en région bruxelloise dès sa mise en service. IEB ne peut qu’exhorter le gouvernement à mettre en œuvre un tel système dès 2016. Cette mesure est d’autant plus pertinente que Bruxelles doit supporter des frais d’infrastructure et de fonctionnement des transports en commun qui bénéficient largement aux navetteurs domiciliés en régions flamande et wallonne et que le système de vignette proposé ne contribuera que marginalement aux frais ainsi qu’aux nuisances environnementales générés par la circulation dans et à la frontière de son territoire.
Bonjour la démocratie urbaine !
Quelques stakeholders ont été identifiés par les autorités et ont été priés d’émettre un avis sur le futur système. Parallèlement, un processus de consultation publique était lancé sur les sites web des trois Régions.
Toutefois, l’information n’a été affichée dans les « actualités » du site web de Bruxelles-Mobilité que pendant 15 jours et seule une recherche du mot clé « vignette » menait à une page qui informait le public qu’il était invité à remettre son avis. IEB réclame que cette consultation publique fasse l’objet de la procédure habituelle des enquêtes publiques en Région de Bruxelles-Capitale.
Mathieu Sonck