À la demande du gouvernement bruxellois, le bureau d’études Timenco a planché pendant plusieurs mois sur une politique en faveur du piéton. La première étape de son travail a consisté à visiter quelques villes voisines et exemplaires afin de s’inspirer des meilleures idées et des plans d’action. Ils ont ensuite proposé à tout un chacun de participer à des promenades urbaines organisées dans différents quartiers bruxellois, afin de dresser un bref état des lieux. Ces observations ont permis de mettre en évidence deux réalités : obstacles à tous les coins de rue et parcours du combattant quotidien, d’une part ; nombreux espoirs évoqués par les passants et immense potentiel de la ville, d’autre part. Munis de toutes ces données, le bureau d’études a élaboré un plan stratégique qui ferait de Bruxelles une ville exemplaire, à l’horizon 2040. IEB a pu prendre connaissance des grandes lignes du plan, avant son adoption par le gouvernement et l’enquête publique.
Le premier pas
L’objectif du plan pour 2040 est que plus d’un tiers des déplacements se fassent à pied. Selon les derniers chiffres bruxellois, datant de 2001, le chiffre actuel serait de 28%. Résultat satisfaisant quand on admet que la marche n’a jamais bénéficié d’un quelconque intérêt de la part des autorités. En effet, jusqu’il y a peu, le piéton était tout juste toléré dans l’espace public. Des efforts ont ensuite été faits pour le protéger des voitures et des trams par des barrières et des trottoirs, qui ne lui sont pas nécessaires, voire qui entravent son cheminement naturel, et qui ne sont installés que pour le séparer des autres modes... À l’opposé, voitures et transport public ayant des besoins spécifiques ou nécessitant beaucoup d’espace et d’infrastructures propres ont bénéficié d’une attention soutenue. Au point que l’ensemble de l’espace public soit à présent formalisé par le tout-à-l’automobile. Notons que ces chiffres ne tiennent pas compte des kilomètres parcourus à pied par les bruxellois et non-bruxellois pour rejoindre un arrêt de transport public ou leur lieu de travail depuis la gare par exemple (le chiffre de 28% ne concerne que les trajets pour lesquels la marche à pied représente le mode de transport principal). Par conséquent, il ne faut pas se focaliser sur les quantités mais plutôt prendre en compte des critères de qualité, qui rendront la marche agréable et permettront enfin aux personnes à mobilité réduite de profiter de l’espace public.
Vers la qualité optimale
Jusqu’à présent, les règles d’aménagement ne prescrivent que des critères minimaux garantissant le cheminement et la protection de l’usager faible (largeur minimale, barrières, potelets,...). L’ambition du plan est d’inverser cette logique en offrant au piéton une qualité optimale de déplacement. Pour dessiner une ville qui invite à la marche, il faudra d’une part rééquilibrer le partage de l’espace public. Car l’importance de la circulation automobile (bruit, odeur, danger) est un obstacle majeur. D’autre part, il faudra créer un maillage qui évite les détours, supprime les barrières et correspond aux désirs via des itinéraires spécifiques qui donnent un avantage aux modes doux. Chanceusement, Bruxelles dispose d’un potentiel pour être un ville piéton admis, du fait de son caractère typique, de l’ambiance agréable qui règne dans la plupart des quartiers et de sa faible étendue géographique qui rend les distances raisonnables.
Un plan stratégique
Le plan piéton est un « plan stratégique » qui doit servir de base pour guider les actions futures, en traduisant le fameux principe STOP qui impose que la priorité d’un aménagement soit d’abord accordée aux usagers faibles, puis aux transport public et, en dernière instance, au transport individuel. Par conséquent, il n’est pas question ici de dessin à l’échelle ou d’analyses fines de quartiers spécifiques mais de principes généraux et d’actions globales. Toutefois, se voulant pragmatique et « prêt à opérationnaliser », le plan décline 20 lignes de force, hiérarchisées pour 2014, 2020 et 2040 et réparties en 4 angles d’attaques : l’aménagement du territoire et du trafic, la qualité de l’environnement, l’ancrage institutionnel et l’image de la marche. La combinaison de toutes ces actions se résume en une ambition : « choyer le piéton ».
Par où commencer ?
Il y a du pain sur la planche, presque partout, et à commencer dans les mentalités. Toutefois, les premières présentations du plan mettaient l’accent sur quelques catégories de quartier : l’hypercentre-ville ; les alentours des gares ; les zones résidentielles ; les nouveaux quartiers ; les petits et les grands pôles commerciaux. Bruxelles regorge de centres locaux, d’îlots de commerce de proximité et de pôles d’attraction commerciaux de quartier. Il faudrait y veiller au confort des piétons, et peut-être y rééquilibrer les priorités de trafic en créant des zones où la qualité de séjour est privilégiée (voir l’encadré ci-contre :Ville 30, espace à vivre !). Parallèlement, une attention particulière devrait être apportée à la connexion de ces lieux d’activités avec les îlots d’habitation environnants, dans un rayon d’environ 500 mètres, en créant des circuits propres et des raccourcis. À terme, la multiplication de ces réseaux locaux, reliés entre eux, formerait un maillage à plus grande échelle permettant de parcourir de longs itinéraires. Une complémentarité de ces itinéraires pour piétons avec les trajets et les arrêts de transport public est évidemment fondamentale. Par cette philosophie, le plan encourage une ville polycentrique, au sein de laquelle les équipements et les services sont équitablement répartis et disséminés sur l’ensemble du territoire, conformément au projet en gestation de PRDD. Dans les quartiers résidentiels, un aménagement spécifique du trafic devrait matérialiser la qualité de vie. On peut même avoir plus d’ambition pour les nouveaux quartiers qui verront le jour dans les prochaines années. Il est important d’y penser les cheminements piétons potentiels avant d’implanter le bâti, afin de créer des itinéraires protégés du charroi automobile et des raccourcis propres aux piétons et aux cyclistes. Et ici encore, veiller aux connexions piétonnes entre quartiers voisins. Un travail au cas par cas devrait également être consacré à plusieurs grandes artères commerciales, qui sont parcourues quotidiennement par plus de 10 000 piétons sur des trottoirs exigus. Dans le même ordre d’idées, les environs directs des gares voient quotidiennement débarquer bien davantage que 10 000 piétons, dans un environnement hostile. Pour ses situations spécifiques, un renversement des priorités devrait placer les piétons au cœur de l’aménagement. Et pourquoi pas, marquer un grand coup en piétonnisant les boulevards centraux, par exemple entre la Bourse et de Brouckère ?
Grandes et petites avancées
Le plan regorge de mesures complémentaires, fondamentales ou plus légères, qu’il nous est impossible de toutes citer ici. En voici quelques-unes, dans le désordre. La nomination d’un « Monsieur marche » au sein de l’administration, sur le modèle récent du très efficace « Monsieur vélo », qui devra viser tous les projets d’aménagement. La création de vadémécums à l’intention des professionnels et des concepteurs de voirie. La subsidiation des projets communaux par la Région conditionnée au respect du plan. La mise en place d’une hiérarchie des voiries et de boucles de circulation dans les quartiers d’habitation, immunisant le trafic de transit. Des études spécifiques sur les besoins et les désirs des piétons. Des campagnes de promotion destinées à améliorer l’image du piéton. L’audace d’élargir les trottoirs et de les débarrasser des innombrables obstacles : piquets, horodateurs, poteaux, terrasses, publicités,...
En avant, marche !
Le grand mérite du plan piéton est de définir un principe fondamental, destiné à guider toutes les politiques : placer le piéton au cœur de l’espace public. Ce principe devra être intégré dans les futurs plans stratégiques que sont les PRAS, PRDD et projets communaux. Il devra présider aux réflexions de l’ADT et guider les futurs schémas directeurs des zones à urbaniser. Ce plan est une nouvelle pièce du puzzle législatif déjà bien fourni de la mobilité bruxelloise : plan Iris II, plan vélo, plan régional de stationnement, Règlement Régional d’Urbanisme, plans communaux de mobilité, contrat de gestion de la STIB... S’il faudra sans cesse veiller à la cohérence de l’ensemble, nous espérons surtout que les promesses déboucheront sur des applications concrètes de la part de de la Région, des autorités locales et des forces de police. Au sein du milieu associatif, le travail du bureau d’études a été positivement salué. À présent, le plan va être discuté (et négocié) par les autorités politiques, et nous espérons qu’il ne sera pas perverti. Ce n’est pourtant que le plan approuvé par notre gouvernement qui sera soumis à enquête publique, cet hiver. Il serait bon que nos lecteurs participent activement à cette consultation et manifestent en masse leur soutien, car, à n’en pas douter, les opposants seront, eux, sur le pied de guerre.
Jérôme Matagne
ENCADRE 1 (à mettre vers la fin de l’article) Ville 30 : espace à vivre ! La campagne Ville 30 a été lancée en septembre 2011, grâce à la ténacité du Gracq (groupe de recherche et d’action des cyclistes quotidiens), rejoint par 8 associations citoyennes. Elle consiste à encourager les pouvoirs publics à faire primer la convivialité sur le trafic au sein des quartiers, dès aujourd’hui. Le projet consiste à mettre l’ensemble d’une agglomération en zone 30, à l’exception des axes routiers où la fonction de transit automobile domine. Dans une « Ville 30 », le 30km/h devient la norme et c’est le 50km/h qui devient l’exception. Il n’est pas toujours nécessaire de réaliser de lourds aménagements : la compréhension de ce concept et de ses avantages constitue déjà un grand pas vers l’acceptation et le respect du 30km/h. Une agglomération au sein laquelle la vitesse est limitée à 30km/h offre une circulation apaisée et une vie locale plus développée. Les parents osent à nouveau y laisser sortir leurs enfants, les résidents s’y déplacent plus fréquemment à pied ou à vélo, et les commerces de proximité y fleurissent. Nous n’y voyons que des avantages du point du vue de la sécurité, de la pollution sonore et atmosphérique, de l’autonomie des personnes à mobilité réduite, de la convivialité,... Rappelons qu’en respect du plan Iris II, 100% des voiries communales devraient être aménagées en zones 30. Le plan piéton s’inscrit dans la même philosophie en appelant à la création de « zones de séjour » au sein desquelles la qualité de séjour aurait priorité sur la fonction de circulation. Des aménagements lourds ou très légers, en fonction des situations, marqueraient le passage dans une telle zone. Pour soutenir l’idée de Ville 30, chaque citoyen peut agir sans attendre les effets du plan piéton. Tout d’abord, et de manière évidente, en conduisant de manière apaisée partout où la vie locale est présente. Mais également en adressant une lettre à ses élus locaux en demandant le passage en zone 30 de son quartier et en signant une pétition en ligne. Des informations complètes, ainsi que la pétition, sont disponibles sur le site internet www.ville30.be
ENCADRE 2 (à mettre au début de l’article) Vers une ville handicap admis Les personnes à mobilité réduite font office de référence dans le plan. En effet, derrière l’appellation « piéton », les auteurs du projet ont tenu à intégrer les personnes pour qui la marche à pied n’est pas évidente. Les critères de qualité revendiqués pour tout réaménagement de voirie veilleront au confort de tous : personnes handicapées, en chaise roulante ou munies d’une canne, mal-voyants, personnes âgées, parents d’enfants en bas-âge, enfants,... L’ensemble de ces catégories composant 30% de la population !
EXERGUE « La plus grande différence entre les infrastructures d’un pays avancé et celles d’un pays arriéré, ce sont ses trottoirs, pas ses autoroutes » Enrique Penalosa, ancien maire de Bogota, capitale de la Colombie