Selon le cabinet de Charles Picqué, « modifier le Pras avant le PRDD [1] permettrait de gagner deux ans. Quand on connaît l’urgence de la crise du logement à Bruxelles, on n’hésite pas longtemps » [2]. Alors que le PRDD ne sera adopté qu’en 2014, les pouvoirs publics n’ont effectivement pas hésité longtemps : le projet de modification, élaboré dans le plus grand secret, devrait être bouclé pour la fin 2011 ! A l’heure où, dans le cadre de l’élaboration du futur « Plan Régional de Développement Durable », les ateliers participatifs impliquant de nombreux représentants de la société civile battent leur plein, il convient de s’interroger sur le bien-fondé du « court-circuitage » que constitue le PRAS démographique. Car faut-il rappeler que décider de réviser le PRAS avant le PRD, c’est contraire au bon sens. D’abord, on décide d’une vision stratégique, puis on décide des actions à prendre, pas le contraire ! L’opportunité de changer les affectations du sol doit être étudiée à la lumière de données objectives sur les besoins en logement (et quels types de logements), d’équipement de proximité, de crèches et d’établissements scolaires et de types d’activités productives pourvoyeuses d’emploi faiblement qualifié, objectifs affirmés avec force par tous les participants aux ateliers du PRDD en cours d’élaboration [3].
Pourquoi donc faut-il réviser le PRAS aujourd’hui ?
L’exposé des motifs du gouvernement est à cet égard éloquent : il s’agit de « faire face à une pénurie de logements en Région bruxelloise, pénurie qui risque de s’aggraver dans les années à venir du fait d’une augmentation démographique importante au sein de la Région ». [4] Le 15 juin dernier, à l’occasion d’un colloque organisé par le Conseil Économique et Social, Charles Picqué complétait sa pensée en insistant sur le fait que sa priorité n°1 devait être la lutte contre la dualisation sociale et que le PRAS démographique pourrait y contribuer. Dans l’exposé des motifs de l’arrêté, les éléments à prendre en compte en vue de la modification du PRAS sont les suivants :
- Définir l’affectation des terrains de Delta appartenant à la société d’acquisition foncière (SAF) (équipements, bureaux, logements commerces et activités productives) ;
- Définir l’affectation du plateau du Heysel censé accueillir en plus d’un centre de congrès et d’un centre commercial, une fonction hôtelière, des bureaux accessoires et du logement ;
- Déterminer les zones urbanisables du PRAS propres à accueillir du logement et de l’équipement, tout en y préservant les espaces à vocation économique ;
- Définir les densités de certaines zones urbanisables proches des transports en commun (l’objet ici serait d’introduire des recommandations de densité sur certaines zones du PRAS). Les questions que tout citoyen doté d’un esprit logique se pose à la lecture des éléments qui précèdent sont les suivantes : en quoi le PRAS démographique répondrait-il à la hausse de la démographie ?
Quels besoins en logements ?
Le besoin en logements dans la Région n’est pas neuf. Rappelons que près de 50% de la population bruxelloise remplit les conditions d’attribution d’un logement social et que 38.000 familles sont inscrites sur les listes d’attente. Cette situation est notamment la conséquence d’un manque d’opérationalité des pouvoirs publics pour la construction de logements sociaux neufs ces trente dernières années. Il y a pourtant plus d’un milliard d’euros dans les caisses de la Région destinés à la rénovation et la construction de logements sociaux. Impuissante, la Région compte donc principalement sur la dynamique des investisseurs privés pour répondre à la demande de logements. Mais la majorité des nouveaux habitants attendus dans les dix prochaines années est due à la natalité propre aux quartiers populaires et aux migrants qui arrivent dans ces quartiers. Il est très peu probable que les investisseurs privés répondent à une demande en logement issue de Bruxellois dont les revenus sont faibles.
Un PRAS que les marchés appellent de leurs vœux
Avec le PRAS démographique, le gouvernement projette d’introduire une dose de mixité fonctionnelle dans des zones jusqu’alors dévolues aux activités productives et portuaires. Certains des logements qui s’y construiront seront des logements de luxe, principalement destinés à une clientèle internationale, aux revenus majoritairement défiscalisés. L’annonce du PRAS démographique a déjà été anticipée par les marchés. Il y a un an déjà, un promoteur interrompait une transaction de la SDRB en doublant l’offre d’achat d’un terrain industriel en bordure du canal. Aujourd’hui, des projets fous se multiplient : une marina sur le quai de Biestebroeck (voir page xx), une gated community de 140 mètres de haut au droit du pont de Armateurs. On ne compte plus les projets de logement spéculatifs sur des terrains industriels proches de la zone du canal. La volonté affirmée de la Région d’autoriser l’introduction de logements sur ces zones, sous prétexte de mixité fonctionnelle, voire de mixité sociale, y condamne certains types d’activités productives. A moyen terme, les logements produits, par les exigences de leurs occupants, seront incompatibles avec des activités industrielles pourvoyeuses d’emplois infra-qualifiés. La mixité fonctionnelle en zone portuaire ou industrielle au bord du canal condamnera à terme l’usage des quais à des fins de transbordement et l’option du transport fluvial qui est pourtant stratégique pour répondre aux futurs chocs pétroliers. Les hausses foncières auront également des effets collatéraux sur les quartiers environnants, majoritairement populaires : la hausse des prix liés à ces projets se diffuse bien au delà de la parcelle visée, provoquant l’éviction des habitants les plus précaires.
Gouvernement et promoteurs : même combat !
Faire sauter le seul verrou restant aux pouvoirs publics pour contrôler le développement de zones jusqu’alors dévolues aux activités productives et portuaires, ce serait irresponsable. A moins de penser que le rôle des pouvoirs publics est de jouer au promoteur sur les zones dont ils sont propriétaires. Le cahier des charges du rapport d’incidence du PRAS démographique prévoit d’étudier la possibilité de capter les éventuelles plus-values générées par les changements d’affectations. Cette ambition a peu de chances d’aboutir pour deux raisons. La première, c’est que le marché a déjà anticipé les changements d’affectation : les promoteurs spéculent déjà sur nombre de terrains industriels. La seconde, c’est que la captation des plus-values menacerait les projets des plus grands bénéficiaires de ces changements d’affectation, c’est-à-dire la Région et la Ville de Bruxelles elles-mêmes. Il est frappant de constater que les deux zones appartenant aux pouvoirs publics qui sont concernées par le PRAS démographique sont destinées à accueillir prioritairement un centre de congrès international, un centre commercial, des bureaux, un hôpital et des activités productives. La fonction logement est très largement accessoire dans les options d’aménagement de ces zones. En réalité, les terrains achetés par la Région sur le site de Delta (voir article p. xx) sont financés par la plus-value générée par la construction de bureaux pour la Commission européenne. De même, le centre de congrès de la Ville de Bruxelles prévu sur le site du Heysel ne pourra être financé que par un mégacentre commercial (voir article p. xx).
Il faut empêcher la spéculation !
Au fond, rien n’a changé sous le soleil : évoquer des « chancres », des zones précarisées, déprimées, insécures, insalubres, mal fréquentées, etc. c’est reproduire le scénario du quartier Nord : céder à bas prix des terrains bien situés pour des affectations plus juteuses qui s’opposent à l’intérêt général. Nous devons refuser la spéculation sur les terrains industriels situés autour du canal. Si le prix des terrains industriels est encore accessible, c’est parce qu’il faut favoriser l’implantation des activités d’industries urbaines créatrices d’emploi. Laisser entrevoir que l’on pourrait y faire autre chose, c’est encourager la spéculation. Il importe de définir PRÉALABLEMENT à toute modification du régime juridique de ces zones quel type d’industries Bruxelles devra relocaliser en ville. Il faut PRÉALABLEMENT mettre en place des mécanismes de maîtrise foncière, de captation de plus-value, de compatibilité des affectations entre elles et d’imposition de quotas de logements sociaux dans les projets privés, cette dernière proposition ayant rencontré une large adhésion des participants aux ateliers du PRDD.
Il faut réduire la dualisation sociale !
Pour répondre aux besoins, il faut construire en masse des logements sociaux et des logements publics abordables. Les pouvoirs publics doivent donc affiner les projections démographiques, déterminer exactement les besoins et y consacrer majoritairement les terrains qui s’y prêtent et qui sont en leur possession. Si les pouvoirs locaux persistent à ne pas collaborer à cet objectif, la Région devra élaborer des formes de préemption plus efficace, en particulier en deuxième couronne. Un apport massif de logements accessibles aura un effet déprimant sur les prix du marché et diminuera la dualisation sociale.
Mathieu Sonck
1 Le PRAS divise le territoire en zones suivant leur affectation. Toute délivrance de permis d’urbanisme doit lui être conforme.