Ce qu’on apprécie avec Jean-Pierre Garnier, sociologue et observateur urbain depuis quarante ans, c’est sa faculté d’appeler un chat un chat sans rien concéder à la colonisation de notre langage par les verbes dominants.
Remettant au goût du jour les théories d’Henri Lefebvre sur le droit à la ville et se nourrissant de leur réactualisation chez le penseur critique américain David Harvey, l’auteur nous dresse tout au long de l’ouvrage un portrait sans concession du développement des villes dites métropolitaines, illustré essentiellement par Paris, développement qui transforme l’espace urbain en source de profit et en fait des lieux majeurs de ségrégation. Il pose un oeil aiguisé sur le déploiement des luttes urbaines et leurs errements. Passe au crible les pseudos politiques sociales qui invisibilisent la pauvreté et les arnaques participatives qui anéantissent l’épaisseur politique du peuple. Loin d’être un penseur en chambre, l’auteur avoue avoir travaillé plusieurs années à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la Région parisienne, avant de s’impliquer dans de nombreuses luttes urbaines.
À partir de questions variées comme la gentrification des centres, les émeutes dans les banlieues populaires, le logement ou le droit à la ville, ce recueil d’articles, parus entre 1979 et 2008 ou autres inédits, propose une vision d’ensemble des rapports sociaux dans l’espace urbain et de la façon dont la recherche urbaine s’y insère elle-même.
L’auteur développe ainsi une hypothèse qui ne devrait pas laisser indifférents nos lecteurs : les militants qui se sont engagés dans les années 1970 dans les luttes urbaines se retrouvent aujourd’hui dans les préoccupations liées au cadre de vie, oubliant la question sociale. Souvent, il n’est plus question de combattre la pauvreté ou les inégalités sociales mais d’embellir la ville et d’y assurer la mixité sociale. Se faisant, ils se font les alliés objectifs des décideurs pour transformer la ville en une vitrine ou un produit d’appel aux investisseurs. L’auteur en déduit les conclusions suivantes : il s’agit aujourd’hui de "parvenir à une jonction entre des mouvements de révolte menés par les catégories les plus dominées avec d’autres menés par celles qui risquent d’être prolétarisées, à savoir les franges inférieures de la petite bourgeoisie intellectuelle".
Détrompez-vous, cet ouvrage n’est pas déprimant. La vivacité de la plume de Garnier est revigorante. Dans ce monde de complexité croissante et de difficultés à trouver des prises pour ne pas se laisser engloutir, c’est un vrai remède contre l’ambiance maussade et délétère.