Si d’après les apparences, nous nous retrouvons encore en face d’une carte qui, en fonction des couleurs, classe et sépare les Bruxellois ; à bien y regarder, le bleu, les relie. Ce bleu c’est les vallées de Bruxelles, ou plus exactement le lit majeur des cours d’eau qui jusqu’à récemment se permettaient de façonner notre paysage. Régulièrement, lorsqu’ils étaient un peu trop imbibés, les cours d’eau, à l’étroit dans leur lit mineur, se détendaient dans un lit plus vaste, le lit majeur. Mais les cours d’eau ont été domptés, ils se sont mariés à la ville pour le meilleur et pour le pire ! De lit mineur et majeur ils sont passés au doux lit marital des égouts bruxellois. Notez que de temps en temps certains cours d’eau volages aiment reprendre leurs aises dans les caves des habitants très heureux de les accueillir (à n’en pas douter). Restent les panoramas qu’ils nous ont laissés. Pendant des milliers d’années, leur jeunesse, les cours d’eau se sont acharnés pour découper les terrains en collines et vallées. Dur labeur ! Mais quel résultat ! A Bruxelles nous avons de très beaux dénivelés qui font le bonheur des cyclistes. Le fond des vallées se situe généralement aux alentours de vingt mètres et les sommets culminent régulièrement à plus de cent mètres d’altitude, surtout à l’est de la Senne. La Senne… C’était elle le chef de la bande du réseau bruxellois ! Celle qui avait organisé les autres cours d’eau en affluents pour creuser le relief. La tactique était simple : il fallait récolter l’eau de pluie qui ruisselait sur le sol en suivant la pente du terrain et qui emmenait avec elle des particules de terre. Chaque cours d’eau s’était donc vu attribuer comme tâche de lui transmettre le stock d’eau de ruissellement et de sédiment sur des territoires définis. Ces territoires étaient appelés bassins versants et avaient donc comme caractéristique principale que toutes les eaux de pluie qui leur tombaient dessus arrivaient à un endroit déterminé, en l’occurrence un cours d’eau. Les limites entre les bassins versants étaient appelées lignes de crête (joignant les points hauts du bassin versant) ou de partage des eaux. Ces premiers affluents avaient eux-mêmes un réseau de sous-affluents et de sous-bassins versants. Ainsi le sous-bassin versant du Broebelaer faisait partie du bassin versant du Maelbeek qui contribue à son tour à fournir la Senne en eau et sédiment. Presque toute la région bruxelloise se trouvait dans le bassin versant de la Senne, seul un tout petit bout de terrain en forêt de Soignes acheminait les eaux de ruissellement directement vers la Dyle sans passer par l’intermédiaire de la Senne.
L’eau a façonné le paysage
Revenons aux paysages formés par les cours d’eau. Bien sûr le réseau hydrographique actuel, enchaîné à la ville, n’est plus libre de façonner notre environnement topographique naturel. Il n’en demeure pas moins intéressant de découper la région bruxelloise selon les bassins versants, les versants ou les vallées afin de mettre à jour les caractéristiques de notre environnement physique caché sous les surfaces urbaines. C’est ce découpage topographique que représentent toutes les couleurs sur la carte de la page 31. Nous avons déjà longuement parlé des vallées en bleu, attachons nous maintenant aux versants (dans un bassin ou non) de la Région de Bruxelles-Capitale :
1. Les versants ucclois
Les bassins versants du Geleytsbeek, Ukkelbeek et le versant en rive droite du Linkebeek couvrent une grande partie du territoire communal d’Uccle. Nous pouvons donc grossièrement dire qu’Uccle est un territoire regroupant trois vallées, ou encore cinq versants. Concernant les caractéristiques topographiques, nous trouvons des pentes très marquées avec des lignes de crête à plus de 100 mètres d’altitude.
2a et 2b. Le versant droit de la Senne
2a. Tout comme la zone précédente la topographie est très marquée, la pente générale du versant est relativement forte, comme en témoignent les distances réduites entre la vallée et la ligne de crête. De nombreuses sources alimentaient de petits ruisseaux perpendiculaires à la Senne dans de nombreuses communes (Forest, Saint-Gilles, Bruxelles-Ville, Saint-Josse, Ixelles et Schaerbeek). 2b. Au Nord de la confluence avec le Maelbeek, correspondant plus ou moins à Evere et Haren, la zone possède une pente douce vers la Senne et sa confluence avec la Woluwe juste au Nord de la limite régionale.
3a et 3b. Le versant gauche de la Senne
3a. En face, de l’autre côté de la Senne (et du canal) se trouve Neder-Over-Heembeek et Laeken. Cette zone a de nouveau des pentes plus marquées, similaires à celle de la zone 2a avec aussi de petits ruisseaux perpendiculaires à la vallée de la Senne. Avec Jette et Forest, Neder-Over-Heembeek présente le dénivelé le plus important en région bruxelloise. 3b. Cette partie de versant présente de nombreux affluents de la Senne (Maelbeek, Broekbeek, Neerpedebeek, Vogelzangbeek...) relativement rectilignes, globalement dans une même direction d’écoulement mais dont la longueur augmente vers le Sud. Les sources de ces derniers cours d’eau se trouvent donc en Flandre. Ceci est lié à la topographie de moins en moins marquée. Les collines culminent à une altitude de plus en plus faible et présentent des pentes de plus en plus douces. Le territoire communal d’Anderlecht compose la plus grande partie de cette zone. Cette commune comprend pas moins de quatre affluents de la Senne. Certaines de ses limites coïncident avec le tracé de ces cours d’eau et de la Senne. Les autres communes (Molenbeek, Koekelberg, Berchem-Sainte-Agathe, Ganshoren, Jette et Laeken) se partagent deux affluents de la Senne. Leurs territoires dans cette zone trouvent difficilement un ancrage topographique, la plupart des limites communales ne suivant aucune logique de ligne de crête ou de tracé hydrographique.
4. Le bassin versant du Molenbeek
Cette zone comprend deux versants à distinguer de par l’altitude des sommets et de par leur pente moyenne. En effet, ces caractéristiques sont toutes deux plus faibles pour le versant Sud (orienté nord-est). Si la confluence (historique) avec la Senne et la majeure partie de l’aire du bassin versant se trouvent en Région Bruxelloise, ce cours d’eau (en restauration) et le collecteur qui lui est associé sont aujourd’hui principalement alimentés par des sources et des sous-affluents en Flandre (Elegembeek, Maelbeek...). Les limites régionales correspondent globalement à des lignes de crêtes et au réseau hydrographique mais les frontières communales (Berchem-Sainte-Agathe, Ganshoren, Jette et Laeken) à l’intérieur de la Région bruxelloise semblent totalement indépendantes de l’environnement naturel topographique et hydrologique.
5. Le bassin versant du Maelbeek
Le Maelbeek est aujourd’hui une rivière disparue, transformée en collecteur. Le bassin versant de l’ancien cours d’eau est totalement compris au sein de la région bruxelloise. Il n’est pas le seul. De nombreux autres petits affluents, aujourd’hui aussi disparus, récoltaient de l’eau cent pour cent bruxelloise (si on considère les limites actuelles de la région). Mais le bassin versant du Maelbeek est de loin le plus grand. C’est aussi sans doute l’affluent de la Senne le plus bruxellois, non pas sur base de cette seule caractéristique mais aussi et surtout de par sa position centrale dans la région et le rôle majeur qu’il a joué dans le développement de Bruxelles. Le Maelbeek constitue encore aujourd’hui un vecteur important liant entre elles de très nombreuses communes : Uccle, Forest, Ixelles, Bruxelles-Ville, Etterbeek, Saint-Josse et Schaerbeek.
6. Le bassin versant de la Woluwe
Rejoignant la Senne en dehors de la région bruxelloise, la Woluwe pourrait être perçue comme une seconde rivière à Bruxelles, indépendante de la Senne et parallèle à cette dernière. Elle recoupe aussi des communes déconnectées des autres bassins versants. Les habitants des communes de Woluwe-Saint-Lambert, Woluwe-Saint-Pierre, Auderghem et Watermael-Boisfort se localisent presque tous dans le seul bassin versant de la Woluwe. Ils partagent des liens hydrologiques plus directs avec la Flandre, aval de la zone, qu’avec les Bruxellois des autres bassins versants.
Un bassin versant pour chaque Bruxellois
Au vu de ce découpage de Bruxelles selon les caractéristiques hydrographiques et topographiques locales, certains lecteurs se repositionneront peut-être dans le paysage physique de Bruxelles et redécouvriront ainsi des interactions fortes qu’ils partagent avec leurs voisins de bassin versant. Par exemple, lors de pluies intenses, il n’est pas rare de constater des inondations dans les vallées bruxelloises. Comprendre que le voisin de l’aval est inondé par les eaux qui ruissellent sur sa propre toiture est un premier pas pour une solidarité entre ceux qui subissent les conséquences et ceux qui regardent les dégâts d’en haut. Tous deux devraient avoir à cœur de voir la situation s’arranger et de prendre des mesures adéquates. Ces mesures spécifiques seront d’autant plus adéquates qu’elles intègrent l’environnement topographique et hydrique local. Des pentes fortes et la présence d’anciennes sources induira une gestion de l’eau différente de celle liée à un réseau hydrographique plus long dans un paysage moins abrupt, que ce soit pour des mesures individuelles ou collectives. Pour rappel, ces deux environnements ont déjà été décrits plus haut, pour les versants droits et gauches de la Senne. Mais s’il existe des paysages différents à Bruxelles, il en existe aussi des similaires. Le dialogue entre les acteurs de lieux partageant les mêmes caractéristiques environnementales facilitera la diffusion de solutions locales vers les territoires présentant aussi les mêmes problèmes. Si de nombreuses limites communales coïncident avec les lignes de crête ou le réseau hydrographique, aucune ne peut se targuer d’être indépendante des flux de ruissellement provenant d’autres territoires communaux. Même la frontière régionale propose un découpage imparfait par rapport aux bassins versants et aux flux entrants et sortants de/vers la Flandre. Au vu de ces trois constatations, il devient évident que la gestion de l’eau pluviale doit s’éloigner des territoires administratifs ou du moins les retravailler pour ré-intégrer les caractéristiques de l’environnement topographique dans ses mesures. Cette dernière conclusion est une condition nécessaire pour voir le mariage forcé entre l’eau et la ville, dominé par cette dernière, se transformer en mariage d’amour. Les crises ne disparaîtront pas mais elles seront moins fréquentes et les enfants, que sont les Bruxellois, pourront alors enfin s’épanouir dans un environnement durable.
Kevin De Bondt Urban Environmental Geosciences - VUB
Pour plus d’informations : http://we.vub.ac.be/ urbangeo/texte...