Le quartier « Notre-Dame-aux-Neiges » ou quartier des Libertés se situe dans le Pentagone de Bruxelles, à son angle nord-est, à l’arrière du Parlement fédéral et du Parlement flamand. Il est délimité par la petite Ceinture, par la rue de la Loi et par la rue Royale ou, encore, par la colonne du Congrès, la place Madou et le carrefour du Botanique. Immédiatement en-dessous de la colonne du Congrès, se trouve le site de l’ancienne Cité administrative de l’Etat promise à une lourde rénovation privée.
Un ancien quartier populaire rasé en 1874
Le quartier Notre-Dame-aux-Neiges (du nom d’une chapelle élevée en 1621) est devenu un quartier ouvrier au cours du temps. A partir de 1874, sous prétexte d’assainissement, la population est expulsée et le quartier est largement rasé : « Il faudra un jour que ce cloaque honteux disparaisse » déclarait Charles Rogier dont la statue orne toujours la place de la Liberté. L’objectif avoué est de ramener en ville des populations plus favorisées et estimées plus dignes de côtoyer les institutions issues de la révolution de 1830.
Une faillite favorisant le retour de la mixité
La Société immobilière « Notre-Dame-aux-Neiges », créée dans le but de la rénovation de ce quartier, fait faillite en 1885. C’est la Régie foncière de la Ville de Bruxelles qui rachète la grande majorité des immeubles de la société faillie. Cette Régie joue aujourd’hui encore un rôle important dans le quartier, dans la mesure où elle reste propriétaire de 600 appartements environ. Cette circonstance explique que le quartier reste habité par de nombreux locataires, sous contrat avec la Régie ou encore avec des propriétaires privés. Les locataires cohabitent avec des propriétaires de maisons unifamiliales traditionnelles qui y vivent généralement en famille, avec parfois un étage dédié à la location. Quelques immeubles regroupent des appartements en copropriété et quelques autres sont manifestement destinés à un public de moindre revenu. Selon le recensement de 2001, le quartier abrite 1 500 habitants. Cette proportion n’a probablement guère évolué. Leur statut et leurs revenus sont très variés : employés, fonctionnaires, ouvriers, indépendants, étudiants, pensionnés, artistes, concierges de la Régie foncière, rentiers ou, au contraire, personnes dépendant d’un revenu d’intégration sociale. La qualité du patrimoine, le charme du cœur du quartier qu’est la place de la Liberté ainsi que la présence de nombreuses terrasses en été favorisent rencontres et convivialité entre les habitants ainsi d’ailleurs qu’entre habitants et commerçants, tout au moins dans les rues les plus passantes. Certains établissements horeca prennent d’ailleurs des initiatives en vue de l’animation du quartier aux côtés de centres culturels tels que le Cirque royal, le musée du jouet, l’école de danse « Fred Academy »,….
Des loyers en augmentation
Le coût des loyers varie de « modéré » à très cher. En effet, un certain nombre de locataires de la Régie foncière le sont depuis de longues années, parfois 20 ans et plus, et bénéficient du loyer prévu dans leur bail d’origine indexé. Malheureusement, les prix actuellement pratiqués par cette même Régie dans ses immeubles rénovés atteignent des niveaux bien plus élevés. Des prix record seront sans doute atteints dans les immeubles en cours de rénovation place des Barricades, ceci à l’initiative exclusive de sociétés immobilières qui projettent d’y établir des logements de luxe (en copropriété ou en location). Certes, on peut se réjouir que ce joyau architectural soit rénové dans le respect des façades classées mais aussi regretter que les pouvoirs publics ne se soient pas plus investis dans cette rénovation. Dans le même temps, de nombreux immeubles du quartier restent vides ainsi que des logements au-dessus d’un certain nombre de commerces.
Un quartier de plus en plus dédié aux bureaux mais peu de commerce de proximité
Par ailleurs, le quartier Notre-Dame-aux-Neiges est enclavé entre les boulevards de la petite ceinture, la rue Royale et la rue de la Loi où les bureaux sont dominants. L’intérieur du quartier est également dominé par les bureaux, occupés ou vides. Cette configuration entraîne un nombre de visiteurs du quartier par jour nettement supérieur à celui des habitants (3 400 selon l’Agence Atrium en 2007 avant l’installation des bâtiments de la Commission européenne place Madou et ceux de la STIB rue Royale) et une domination des établissements horeca.
L’animation du midi est certes profitable et agréable. Elle se traduit notamment par une grande variété de cuisines nationales. Toutefois, le déséquilibre des fonctions du quartier a pour impact :
la fermeture de la majorité des établissements horeca et des commerces le soir et le week-end (sauf spectacle du Cirque royal),
le manque cruel de commerces de proximité. Si des commerces existent bien dans les quartiers avoisinants (surtout à Saint-Josse), ceux-ci sont séparés par les boulevards de la petite ceinture, qu’aucun parent ne laisserait franchir par ses enfants.
Des plans en veux-tu en voilà
Le quartier est concerné par de nombreux plans. Au-delà du traditionnel Plan régional d’affectation du sol (PRAS) qui définit le quartier comme une zone d’intérêt culturel, historique, esthétique ou d’embellissement, et comme une zone mixte, le quartier est régi par un PPAS qui définit plus précisément les espaces affectés aux fonctions de bureaux et d’hôtel. Le quartier borde en outre la Zone d’Intérêt Régional (ZIR) n° 11, qui comprend le site de la Cité administrative à rénover. La réalisation de la ZIR a notamment pour objectif un accès à la future halte RER prévue dans l’actuelle gare du Congrès et un accès plus facile au jardin Botanique. Dans ce cadre, un nouveau PPAS dit « Pacheco » est en cours d’élaboration à la Ville de Bruxelles : il soulève bien des inquiétudes. Dans la même perspective, l’agence régionale Atrium a développé un « schéma prospectif » pour le quartier commercial « Congrès » qui, tout en réservant la nécessité de commerces de proximité, privilégie le développement de commerces destinés aux futurs habitants de la « Cité administrative » ainsi qu’aux « hommes et aux femmes d’affaires ».
Force est de constater…
Dans la pratique, force est de constater que les projets d’ensembles immobiliers neufs, d’hôtels et de bureaux avancent à grands pas tandis que les autoroutes urbaines restent inchangées et qu’aucune mesure substantielle n’est prise concernant l’habitat, la rénovation du logement et l’aménagement des trottoirs. Dans le même temps, les projets de parkings se multiplient sans que l’impact global de la circulation automobile sur le quartier ne soit mesuré ou, quand il l’est, les plans passent outre ces évaluations.(1) Force aussi est de constater que la consultation des habitants n’intervient que lorsque des projets particuliers, touchant à l’urbanisme et à l’environnement, sont soumis à la délivrance de permis. Or, c’est dès la réflexion sur la programmation de la vie urbaine, à tous les stades et auprès de tous les niveaux de pouvoirs, que les habitants et acteurs de terrains devraient participer.
Le Comité de quartier Notre-Dame-aux-Neiges prend des initiatives
Le Comité du quartier a été relancé en mai 2008 avec la préoccupation de concerner tous les habitants et, autant que possible, les commerçants. Il fait suite à différentes fêtes de voisins, aux initiatives d’habitants de la Régie immobilière et à l’intérêt suscité par les réaménagements de la Cité administrative. Ces éléments ont permis la rencontre de personnes motivées d’horizons divers. Depuis lors, différentes initiatives et expériences ont petit à petit permis de constituer un noyau stable de personnes actives qui atteint un nombre d’habitants et de commerçants non négligeable : fête des voisins organisée annuellement, « drink de Noël », pétitions, participation à la journée de la propreté, création d’une mailing list informant de manière équivalente toutes les personnes intéressées (d’accord ou non avec les orientations du noyau), préparation et participation aux commissions de concertation de la Ville de Bruxelles en matière d’urbanisme, défense du patrimoine,…
Un comité qui se positionne sur la gentrification
Dès 2008, après étude des plans concernant le quartier, le Comité s’est inquiété d’une « gentrification » potentielle. De son point de vue, le quartier doit rester convivial pour la moyenne de ses habitants et pour ses habitants les moins fortunés. Le Comité a aussi déploré l’absence de plans en matière de logement et d’habitat. Seul un tel plan et la mise en oeuvre effective de réalisations en ce sens pourrait agir en compensation du développement galoppant d’ensembles de bureaux et, au moins partiellement, de logements réservés à des revenus supérieurs. De manière originale, le Comité de quartier Notre-Dame-aux-Neiges a défendu, au sujet des projets immobiliers sur le site de l’ancienne Cité administrative, le respect effectif de l’engagement de 35 % minimum de logements et l’idée que ces logements soient accessibles à des personnes aux revenus moyens et à des familles qui vivront effectivement sur le site. Le Comité s’est également rallié à la construction de logements sociaux, au moins en partie, et aux considérations du Rassemblement bruxellois pour le Droit à l’Habitat au sujet dudit site. Enfin, le Comité, soutenu par IEB, le Bral et l’Arau, a organisé une conférence de presse pour dénoncer les risques intrinsèques à la demande de permis pour la construction de bureaux, principalement rue Royale, en l’absence de masterplan du promoteur et de PPAS pour l’ensemble du site “Pacheco”. Malheureusement, comme pressenti, le permis accordé pour des bureaux a justifié la demande du promoteur de construire une tour élevée au milieu du site, en vue d’atteindre les 35 % de logements impartis par l’arrêté du gouvernement bruxellois.
Exemples d’actions
Parmi les actions inspirées par un souci de mixité (sociale et de fonctions), citons :
la synergie avec la maison médicale travaillant “au forfait” et préoccupée de santé communautaire,
une proposition de collaboration avec les services de la Ville de Bruxelles qui se préoccupent de stimuler la rénovation des logements au-dessus des commerces,
des démarches en vue de l’installation de commerces de proximité, en particulier d’un lavoir,
un soutien à l’initiative d’habitat solidaire du 123 rue Royale qui, au départ de l’occupation d’un immeuble de bureau vide, a obtenu un bail de la Région wallonne. Refusant de se joindre à certaines réactions négatives dans le quartier, le Comité de quartier a combattu certaines rumeurs et joué un rôle de médiateur aux fins de réduire certains inconvénients pour le voisinage,
une action réussie en vue d’éviter l’installation de grilles de part et d’autre de la galerie du Parlement.
Un comité convaincu par la richesse des origines sociales diverses
Le Comité de quartier Notre-Dame-aux-Neiges est convaincu des bienfaits de la richesse des échanges en œuvre dans le quartier, émanant de personnes d’origines sociales diverses. Il est également convaincu que la vitalité du quartier, sa convivialité et son caractère durable reposent sur cette diversité et sur un développement de l’habitat par différents moyens : réhabilitation des logements au-dessus des commerces, conversion en logements des immeubles vides, régulation des prix des locations, construction ou aménagement de logements adaptés à des familles avec enfants, soutien à la création de commerces de proximité, plans relatifs aux trottoirs et à la circulation en conformité avec une mobilité douce et respectueuse tant des usagers faibles que des promeneurs et usagers externes du quartier.
Cette perspective ne peut que favoriser une offre commerciale et de services diversifiée elle aussi, les rez-de-chaussées commerciaux vides ne manquant pas.
Marie-Anne Swartenbroekx
Comité de quartier Notre-Dame-aux-Neiges/Royal/Congrès Rue du Nord, 66 1000 Bruxelles
(1) Rapport sur les incidences environnementales. Atlas. Plan particulier d’affectation du sol n° 07-2 « Pacheco », plan 2.3.19, Hypothèses sur les itinéraires automobiles privilégiés en direction de l’entrée principale du parking du site.
Encadré : Un peu d’histoire
1621 : une chapelle consacrée « Notre-Dame-aux-Neiges » est élevée au bout du vieux chemin de Schaerbeek (limites de l’actuelle place des Barricades). Notre-Dame-aux-Neiges est considéré comme l’ancien quartier lépreux de Bruxelles. En effet, c’est dans ce quartier, un peu à l‘écart, qu’étaient enterrés les pestiférés et qu’on isolait, en 1555, les malades dans des Pesthuysens, non loin des nouveaux remparts.
XIVe siècle. La seconde enceinte englobe le quartier dans ses fortifications. Devenu une partie de la ville, le quartier demeure cependant très champêtre, même si les maisons s’étaient multipliées le long des chemins. XIXe siècle : l’endroit est devenu un quartier ouvrier, aux nombreuses ruelles et impasses. Surnommé un temps « quartier des dentellières » à cause du nombre d’ateliers textiles, il abritait aussi la glacière centrale de Bruxelles, des tavernes fréquentées par des ouvriers et des ateliers d’artistes.
1830 : révolution et indépendance de la Belgique. Formation du premier Congrès national. Les rues du quartier prennent le nom des grandes libertés constitutionnelles : Liberté, Enseignement, Cultes, Presse, Association, etc.
1874 et années suivantes : sous prétexte d’assainissement, la population est expulsée et le quartier est largement rasé. L’objectif avoué est de ramener en ville des populations plus favorisées et plus dignes de côtoyer les nouvelles institutions.
Le tracé des rues est redessiné, les ruelles aux petites maisons populaires font place à des avenues bordées d’immeubles bourgeois de style éclectique. Le quartier est dédié à la glorification de l’indépendance de la Belgique et des personnalités qui y ont pris part (Rogier, Surlet de Choquier,…).
1885 : faillite de la société immobilière « Notre-Dame-aux-Neiges ». La Régie immobilière de la Ville de Bruxelles rachète la majorité des immeubles qui seront reconvertis pour la location.
De 1950 à 1985 : Construction de la Cité administrative de l’Etat selon une vision monofonctionnaliste et monumentale qui accentue la scission entre haut et bas de la ville.
2001 : vente de la Cité par l’Etat fédéral à un promoteur privé, sans réflexion sur l’avenir du site.
Encadré : Bibliographie
Sur le quartier Notre-Dame-aux-Neiges
Catalogue de l’exposition Bruxelles, construire et reconstruire, architecture et aménagement urbain 1780-1914, Crédit communal de Belgique, 1979
DEMEY T., Bruxelles, Chronique d’une capitale en chantier, Tome I, Bruxelles 1990 ; Réédition, CFC, 2004, pp. 97 à 118.
LUYTENS D.-Ch., Histoire d’un quartier de Bruxelles, Notre-Dame-aux-Neiges, Publication de l’Association des commerçants du Quartier Notre-Dame-aux-Neiges, 1996
Le quartier Notre-Dame-aux-Neiges, Coll. Bruxelles, Ville d’Art et d’Histoire, n° 24, Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Service des Monuments et des Sites, 1998
« Décidée il y a un siècle, la disparition du quartier de Notre-Dame-aux-Neiges », in Le Soir, 8 août 1964.
« Projet de démolition… place de la Liberté », in Le Soir, 7 mai 1969.
Verfraaiing projecten voor Brussel, Barricadenplein, Fondation Roi Baudoin, 1992
Atrium
ATRIUM, Congrès. La pause Liberté, Bruxelles, schéma prospectif des quartiers commerçants. Guide opérationnel
ATRIUM, Profil et habitudes de consommation du chaland bruxellois, décembre 2007, pp. 71-74
De la Cité administrative de l’Etat à la ZIR n° 11
BRAL G.J., La Cité administrative de l’Etat, Coll. Bruxelles, Ville d’Art et d’Histoire, n° 44, Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Service des Monuments et des Sites, 2007
Les Cahiers de la Cambre. Architecture n° 8, La Cité administrative de l’Etat. Schémas directeurs et action publique à Bruxelles, Bruxelles, janvier 2009