Le dossier dit du Quadrilatère Nord, à l’instar des nombreux projets qui réorganisent la mobilité urbaine, est d’une haute complexité technique si bien que les choix politiques semblent le plus souvent réduits à des questions techniques, dissipant le caractère contingent propre aux arbitrages politiques. Parée des habits du scientisme, les pouvoirs publics et leurs opérateurs peuvent ainsi prétendre traiter objectivement la ville sans avoir à se soucier des habitants. Infrabel peut ainsi soutenir au nom de son schéma d’exploitation de plus en plus complexe, qu’il lui est impossible de respecter ses obligations futures en terme de cadence et de fréquence s’il ne crée pas un viaduc ferroviaire à la gare du Nord. Le délogement de 218 habitants n’est plus que la conséquence malheureuse d’une décision d’intérêt supra-local cautionnée par les experts ingénieurs.
Au-delà du cas qui nous occupe, on remarquera que la mobilité est un lieu de prédilection du développement de l’expertise urbaine source de confiscation de la parole des citoyens et usagers. Dès l’après-guerre, elle est devenue le creuset d’un champ1 de spécialistes, d’ingénieurs, qui décident par ce biais de l’organisation et du développement de la ville.
Cette approche technocratique tend à usurper la décision en présentant ses propres préférences comme des nécessités2 . Pour Infrabel, son projet est le seul envisageable car il propose une solution performante en termes d’exploitation ferroviaire, minimise les perturbations des lignes pendant le chantier et est moins coûteux que d’autres alternatives. Certes il provoque la destruction d’un pan de rue et l’expulsion de 200 habitants mais c’est le prix à payer pour un chemin de fer performant ! Ce discours d’autorité fait croire que les solutions sont techniques alors qu’elles sont essentiellement politiques.
Les éléments techniques mis en avant par Infrabel dans le cadre du comité d’accompagnement du projet étaient le plus souvent considérés comme indiscutables et coupant court à tout débat sur les choix et opportunités d’autres alternatives. Il est peu probable que sans la présence d’associations comme le Bral et IEB les alternatives au projet permettant d’éviter les expropriations eussent été analysées.
L’ouverture du débat atténue le pouvoir des experts et repolitise les choix posés. Les opérations d’évaluation technique et scientifique, outre qu’elles peuvent être contestées dans leurs méthodes, doivent avant tout se mettre au service de l’évaluation politique et au service de ceux, citoyens et décideurs, qui doivent en débattre. Bruxelles a-t-il besoin d’un RER ? Est-il acceptable qu’un chantier SNCB expulse 200 habitants sans que l’opérateur ne soit tenu responsable du relogement de ceux-ci ? Comment justifier le destruction d’une rue lorsqu’on sait que c’est un palliatif permettant de prolonger seulement de quelques années l’exploitation viable de la Jonction Nord-Midi ? Que dira-t-on aux habitants expulsés par un viaduc lorsqu’on entamera la construction de nouveaux tunnels (considérés eux aussi comme la seule solution techniquement performante dont coût un milliard d’euros au minimum) pour soulager la Jonction ?
L’histoire de Bruxelles et de sa transformation est jalonnée de destruction de lieux de vie au nom de la modernité et des progrès techniques de la mobilité. Le développement durable contribue lui aussi à cette lasagne de la technicité et du progrès. Le chemin de fer étant un mode de transport durable toute opposition à son développement, quel qu’il soit, sera appréhendée par les pouvoirs publics comme une réaction égoïste et nymbiste faisant obstacle à la ville durable.