Les années inexpérimentales
Accueil du site > BEM > BEM 245 - Expropriations rue du Progrès > Les traumatismes du quartier Nord : entre "progrès" ferroviaire et (...)

Les traumatismes du quartier Nord : entre "progrès" ferroviaire et spéculation immobilière

vendredi 28 janvier 2011, par Claire Scohier

On le sait, le quartier Nord a connu bien des vicissitudes dont la plus douloureuse reste indubitablement celle liée au Plan Manhattan responsable de plus de 11.000 expulsions d’habitants de leur quartier. Passé révolu ? Pas tout à fait. Aujourd’hui encore des habitants luttent derrière la gare du Nord pour préserver leur logement.

Un quartier modelé par le rail

Bruxelles a été formée et modelée par le rail mais à une époque où le bâti était moins dense et où le territoire présentait encore un caractère très rural. Tout a démarré avec la création de la première gare de chemin de fer inaugurée en 1835 à l’Allée Verte. Celle-ci fut rapidement saturée. Ainsi quand la gare de l’Allée Verte fut remplacée en 1841 par celle du Nord, alors implantée place Rogier. En 1871, la liaison de la gare du Nord et du Midi est assurée par la ceinture ouest à travers Molenbeek, évitant une jonction centrale qui couperait la ville en deux en provoquant l’exode massif d’une population modeste.

De 1850 à 1890, le quartier va connaître une véritable explosion démographique et muer en fonction des développements ferroviaires, accueillant entrepôts et industries directement liés à la présence du chemin de fer. On pense notamment à l’entreprise Aubert-Blaton qui s’installa en 1865 et présentait ses productions dans sa cours face au chemin de fer et au regard des voyageurs.

La rue du Progrès va subir l’impact de l’élargissement de la zone ferroviaire au gré de l’évolution du chemin de fer et verra son bâti amputé à de nombreuses reprises. La rue fut d’ailleurs ainsi dénommée pour rappeler l’impressionnante extension et évolution qu’a connu le quartier suite à la construction de la gare du Nord. Après avoir accueilli pas mal d’activités industrielles au 19e siècle, début du 20e, le quartier se stabilise et accueille de plus en plus de logements.

En 1929, à l’occasion des Congrès internationaux d’architecture Moderne, l’architecte Victor Bourgeois propose un projet de modernisation totale pour le quartier Nord se composant de plus de 40 barres d’immeubles. Le projet suppose la démolition intégrale de ce quartier vivant et populaire mais jugé vétuste pour y faire un centre d’affaires entouré de commerces et de logements.

Les saignées de la Jonction-Nord-Midi

C’est à la même époque que la Belgique décide d’entamer les travaux de la Jonction-Nord-Midi (1911-1952)1 alors que ceux-ci ne s’imposaient plus nécessairement. En effet, l’électrification du réseau supprimait la plupart des inconvénients inhérents aux gares en impasse2. Bruxelles est une des seules villes d’Europe à disposer d’une jonction centrale.

Ces travaux provoqueront une véritable saignée dans les tissus urbains centraux accompagnée de l’exode de 13.000 personnes. Technique éprouvée, à Bruxelles et ailleurs, pour "assainir" des quartiers populaires jugés insalubres. L’impact des travaux sera cependant plus limité au quartier Nord que dans le centre même si le déplacement de la gare vers le Nord ainsi que la surélévation et l’élargissement des voies ferroviaires aura comme conséquence de couper le quartier en deux. Deux tunnels routiers seront d’ailleurs construits rue du Progrès pour permettre le passage routier endessous du chemin de fer.

La gare du Nord montre la voie du progrès

La nouvelle gare du Nord allait être le fer de lance d’une orgueilleuse opération urbanistique. Après la deuxième guerre mondiale, le plan de Victor Bourgeois pour le quartier est exhumé des tiroirs et devient le plan Manhattan qui sera adopté en 1967 sous la houlette de l’échevin Vanden Boeynants : 70 immeubles tours reliés par un réseau de passerelles et de jardins publics à 13 m de haut. Les premières expropriations auront lieu en 1967 et les travaux démarreront en 1973 avec la tour du WTC.

On remarquera qu’à l’époque ni la presse ni le politique ne se montrèrent critique à l’égard d’un projet qui pourtant entraînait l’expulsion de plus de 11.000 habitants de leurs quartiers. Comme le souligne Albert Martens, c’est un conglomérat de promoteurs privés qui parvint à imposer ses vues aux autorités politiques et aux médias3.

Suite à la crise, le projet sera revu à la baisse pour aboutir dans les années 80. Ce chantier de modernisation va surtout entraîner le déclin économique du quartier et l’apparition d’une population immigrée à la recherche de logements bon marché. Quant aux programmes de constructions de logements sociaux, il prit tellement de retard qu’il ne permit pas le relogement des personnes expulsées du quartier malgré le forte mobilisation d’associations et d’habitants. Seuls 15% des habitants furent relogés dans le quartier et un quart des logements prévus reconstruits. Par contre, dès 1987, l’embellie économique entraînera la relance de la construction des tours de bureaux le long des boulevards Albert II et Simon Bolivar.

2011 : la dernière des tours de bureaux construites dans cet ensemble technocratique, la tour Zénith, est toujours vide.

Répondre à cet article

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0