Les années inexpérimentales
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De l’histoire politique de la procédure de publicité-concertation

lundi 13 décembre 2010, par Claire Scohier, Lucie Carton de Grammont

Ceux qui s’intéressent à Bruxelles et à l’aménagement de son territoire savent que la procédure de publicité-concertation est le fruit d’un combat mené de haute lutte par les comités d’habitants dans les années 1970. Ils se trouvaient confrontés à l’urbanisme spéculatif et technocratique diligenté par les pouvoirs publics et les promoteurs dans des cénacles fermés. Replonger dans l’histoire, nous fait mesurer l’avancée opérée par cet acquis vers l’avènement d’un urbanisme plus démocratique mais aussi prendre conscience de sa difficulté à s’articuler à la question sociale.

Dans l’urbanisme des années soixante, la consultation des habitants, voire même leur information, n’est pas de mise. L’urbanisme est secret, il se décide en chambre au sein de la commune ou de l’Etat pour les plus grands projets. En l’absence de Région bruxelloise, l’évolution de la ville dépend de l’État central, qui planifie son développement sans trop s’intéresser à ceux qui y vivent : tunnels routiers, parkings géants, tours de bureaux, démolition du quartier Nord (Plan Manhattan), menace d’expulsion des habitants des Marolles,... L’absence de plan à moyen et long terme en fait un urbanisme au coup par coup, où les intérêts économiques sont rois et écrasent largement ceux des Bruxellois. Plus que par les pouvoirs publics, l’urbanisme est dirigé par les intérêts privés.

Les plans restent en plan

Alors que la loi de 1962 sur l’aménagement territorial et urbain [1] prévoit la réalisation de plans de secteur pour la Belgique dans le but de zonifier son territoire selon la logique fonctionnaliste, Bruxelles restera dépourvue de tout plan pendant encore de longues années tandis que la fonction de bureau progresse et que l’augmentation des prix des terrains et la spéculation excluent peu à peu les logements du centre et de quartiers tels que Louise, la rue de la Loi ou le quartier Léopold.

Le dédain des autorités pour les habitants constituera l’élément déclencheur de leur organisation en comités de quartier pour défendre leur cadre de vie et tenter d’interférer dans la politique urbaine. Certains parlent à ce sujet du passage vers un syndicalisme urbain émanant non pas d’une classe précaire et ouvrière mais bien d’une classe moyenne intellectuelle.

Leur première revendication sera l’adoption du Plan de secteur pour se doter d’un instrument permettant de se prémunir des autoroutes de pénétration, de l’envahissement par les bureaux et des effets néfastes du zonage fonctionnel de la Charte d’Athènes .

Le Plan de secteur met fin à la culture du secret

Le premier projet de Plan adopté en 1972 sera concocté, comme à l’habitude, dans le secret et sera pleinement imprégné de l’urbanisme d’après-guerre : zonage des fonctions, espaces importants dédiés à la circulation automobile et à la fonction tertiaire. Des plans successifs seront ensuite proposés, tous rejetés, soit en raison de leur trop grande complexité, soit pour des motifs politiques.

Après ces tentatives, un nouvel avant-projet de plan est proposé par le ministre des affaires bruxelloises Vanden Boeynants, en 1976. Les habitants et les associations qui maintiennent une pression continue autour du projet de Plan de secteur obtiennent qu’il soit soumis à une procédure d’enquête publique, laquelle suscitera près de 11.000 réactions !

Des dérogations sous contrôle

Le plan prévoit notamment des zones dédiées à l’habitat et donc exclusivement au logement. Pour éviter la situation grotesque de fonctionnalisme absolu où plus un commerce ne serait admis dans les zones de logement, le plan prévoit des possibilités de dérogation : c’est le point de départ de la procédure de publicité-concertation. En effet, pour contrôler les dérogations au Plan, l’avant-projet prévoit la mise en place d’une commission de concertation et l’information sur des projets dérogatoires à l’attention des riverains.

Quelques questions restent néanmoins en suspend : qui peut être entendu par la Commission ? Celle-ci a-t-elle le droit de refuser d’entendre quelqu’un ? Les comités ou associations représentants les habitants doivent-ils faire partie de la Commission ? Les associations feront des propositions, des contres-propositions, et c’est par un va-et-vient entre société civile et bureau ministériel que le projet prend finalement forme. Pour ce qui est de la composition de la Commission de concertation, les associations décident qu’il vaut mieux rester à l’extérieur de la Commission. De cette façon, elles ne sont pas liées par les avis rendus et gardent entier leur pouvoir de contestation. Il faut dire qu’elles craignaient aussi que leur présence à l’intérieur démotive et endorme l’action citoyenne rassurée par sa représentation dans l’institution. Les associations obtiennent également que « quiconque » puisse être entendu et pas seulement les habitants riverains, de façon à augmenter la capacité de mobilisation citoyenne.

Le sursaut d’autonomie communale

Le projet final prévoit le dispositif de la procédure de publicité-concertation pratiquement tel que nous le connaissons aujourd’hui. Signé le 26 mars 1976, il est toutefois annulé en 1978 par le Conseil d’État sur un recours de la Ville de Bruxelles, au motif qu’il enfreindrait l’autonomie communale. Les communes s’opposent en effet dès le départ à la planification et à la concertation qu’elles perçoivent comme une barrière à leur autonomie de décision. Un nouvel arrêté sera toutefois adopté le 5 novembre 1979 pour entériner la procédure de concertation qui sera ensuite coulée dans l’ordonnance du 29 août 1991 (Ordonnance organique de la Planification et de l’Urbanisme).

Quelques améliorations en cours de route

En cours de route, diverses petites modifications viendront améliorer la procédure : extension de la composition de la Commission à des représentants de l’IBGE et des Monuments et des Sites, le droit d’obtenir une copie de tous les documents et plans « utiles », l’interdiction de fixer des enquêtes pendant les périodes de congé scolaire et l’affichage 48 h avant le début de l’enquête. La dernière modification date de cette année : elle oblige d’accompagner les affiches d’une axonométrie dans le cas de constructions neuves ou d’extensions d’une superficie et de gabarits importants.

Une procédure nécessaire mais pas suffisante

La procédure de publicité-concertation a contribué à sortir l’urbanisme de l’ombre et forcé les promoteurs et les pouvoirs publics à justifier leurs projets. Elle est un des principaux acquis de la démocratie urbaine même si de nombreuses critiques peuvent lui être adressées, nous y reviendrons dans la suite du dossier.

Le plus patent, sans doute, est l’occultation par cette procédure de participation de la difficulté pour les habitants des quartiers populaires à s’y faire entendre. Difficulté produisant à contrario un déséquilibre dans la production de l’espace public au profit des classes moyennes aisées mieux outillées pour promouvoir sa vision de la qualité du cadre de vie, et ce, en décalage avec la population qui habite majoritairement la ville. Ceci explique sans doute pourquoi les concertations rencontrent bien plus de succès à Uccle qu’à Saint-Josse. L’ARAU et Inter-Environnement, conscients de cette critique, tentèrent d’instituer à la fin des années 1970 des boutiques urbaines dans les quartiers populaires. Mais leur tentative d’intéressement aux enjeux de l’aménagement du territoire échoua, illustrant tout la difficulté, manifeste plus que jamais aujourd’hui, d’articuler question urbaine et question sociale. Ceci ne remet nullement en cause la pertinence de la publicité-concertation mais pose la question de la capacité d’agir des associations dans certains quartiers là où la population ne le fait pas, non pas dans une logique tutélaire et paternaliste mais bien pour l’outiller à faire valoir ses intérêts et négocier sa place dans la ville, y compris au sein des procédures de concertation.

Notes

[1] Loi du 29 mars 1962 organique de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, modifiée par les lois du 22 avril 1970 et 22 décembre 1970.

1 Message

  • Perso, je trouve que c’est une très bonne mise en contexte.
    Je suis par ailleurs entièrement d’accord avec l’ensemble des remarques mises en italique dans le texte. Par ailleurs, la mobilisation citoyenne n’était et n’est pas le seul privilège des quartiers riches, même si un décalage existe. Les quartiers populaires ont eux aussi connus leurs mobilisations.
    Ce qui est vrai par contre, c’est que ces mobilisations (mais c’est le même principe qui prévaut dans les quartiers aisés) sont presque toujours portées par des personnes issues d’une classe moyenne "éclairée". Mais est-ce pour autant qu’elles défendent des intérêts contraires aux intérêts des habitants les plus pauvres ? (exemple d’Irma Bozzo). Bref, attention effectivement à la généralisation.
    Thierry

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