Il n’est pas aisé de redessiner cette artère de près de 10 kilomètres tant les implications sur les voiries locales sont nombreuses et tant il faut prédire les futurs projets à proximité. La Région a des ambitions (et des doutes) concernant plusieurs zones desservies par ce grand axe métropolitain : le marché matinal ; la zone désaffectée de la gare Josaphat ; le site de la RTBF/VRT ; Delta. Si toutes ces zones se densifient, la demande de mobilité ira croissante. Anticipant tous ces développements, le bureau d’études chargé de réaménager cette moyenne ceinture recommande une solution technique lourde : un métro. Mais la faisabilité d’un ouvrage d’art entièrement souterrain d’une telle envergure inquiète même les plus optimistes (il faut se souvenir du retard pris pour boucler la petite ceinture du métro : près de 10 ans pour une seule station à l’air libre) A plus forte raison quand son financement ne figure dans aucune liste de priorités régionale, fédérale, voire européenne... Dans l’attente d’un budget hypothétique, c’est donc encore en tram (appelé pré-métro pour faire bonne figure) que l’on arpentera la moyenne ceinture au prix de quelques tunnels sous les carrefours importants.
Gros travaux
Ce tram en site propre, solution efficace si on lui offre une priorité à chaque intersection (grâce notamment à des télécommandes, qui fonctionnent parfaitement avenue Louise depuis des décennies), rencontrera beaucoup de carrefours, soit autant de conflits potentiels entre transport public et privé. A chaque obstacle, la panacée proposée par le bureau d’études est un tunnel pour la Stib. Évidemment, sous couvert de bonne gouvernance, ces tunnels préservent le passage futur d’un métro, présentant des budgets en conséquence. L’idée des tunnels n’est pas neuve : vieux fantasme d’ingénieurs en mal de reconnaissance depuis 1958, ils remontent fréquemment à la surface. Récemment encore, le plan de déplacements Iris 2 a pointé 3 carrefours congestionnés de cette moyenne ceinture : Meiser, le Bois de la Cambre, la Plaine. Le réaménagement des boulevards y répond : y ajoutant le square de Trooz, il projette 4 tunnels destinés à segmenter les modes de déplacement. Ici la logique ne fait pas de mystère : d’accord pour soutenir la mobilité douce, mais pas question d’embêter les chères autos, faut pas pousser, quand même !
Mini résultats
Fondamentalement, le profil de la moyenne ceinture ne devrait pas changer. Il s’agira toujours d’un grand itinéraire automobile destiné à recueillir une part importante du trafic. Toutefois, le sort des vélos et des piétons sera amélioré, mais l’exercice n’était pas difficile ! Une piste cyclable courra en effet de chaque coté des boulevards, tout au long de la ceinture. Enfin... presque car la logique des planificateurs s’impose : la piste disparaît là où elle gênerait trop la fluidité des bagnoles (entre la chaussée de Wavre et la gare d’Etterbeek). Une logique qui s’illustre encore par cette astuce du projet : un double tunnel sous le square Jules de Trooz lui permet de faire disparaître une partie du flot de voitures et camions attendu. Ce square, qui sépare la chaussée de Vilvorde et l’avenue du Port, semble apparemment très éloigné des boulevards. Aujourd’hui, il est peu accueillant, aux voitures comme aux piétons. Mais grâce à un tunnel de part et d’autre du canal, les modèles mathématiques de simulation du trafic permettent d’envisager un report important de circulation depuis le pont Van Praet. En clair, les automobilistes délaisseraient la moyenne ceinture et préfèreraient se diriger en droite ligne vers le centre-ville en longeant le canal. On comprend tout le bénéfice pour la moyenne ceinture. On devine tous les désagréments pour les nombreux logements de l’avenue du Port, pour le futur de Tour et Taxis, et pour les nouveaux appartements et les réaménagements conviviaux promis le long du canal. Gageons qu’en aiguillant des milliers d’automobilistes supplémentaires directement vers le cœur historique de Bruxelles, nombreuses seront les victimes... bruxelloises. Profiter d’un réaménagement d’envergure pour diminuer le trafic automobile et encourager d’autres habitudes de déplacements, dites-vous ? Quelle idée !
A quoi ressemblera la moyenne ceinture ?
Dans chaque commune, des enquêtes publiques donneront l’occasion aux riverains et aux autorités locales de prendre connaissance des plans précis, de se faire entendre et, le cas échéant, d’amender les dessins. Toutefois, le tracé général est connu. Dans chaque sens de circulation, une bande disparaît, pour réapparaître à l’approche des carrefours sous la forme d’une bande de tourne à gauche ou à droite. Quand existe une voirie latérale, elle est séparée du flux général pour être strictement dévolue au trafic local. Sans être exhaustif, voici quelques éléments majeurs, en suivant la voirie depuis Schaerbeek vers Ixelles. Le long du parc Josaphat, la voirie latérale servirait de voie douce (c’est déjà quelque peu le cas) et serait mieux intégrée à l’espace vert. Le viaduc Reyers serait conservé, pour éviter de multiplier les bandes en surface. Afin d’éviter le trafic de transit dans les quartiers résidentiels, la bretelle de sortie de l’E40 à Meiser serait supprimée, pour autant qu’un nouveau tunnel soit creusé en compensation sous la place Meiser. Une passerelle piétonne enjamberait le square Vergote (bravo, voilà qui évitera un détour de plus de 500 mètres aux piétons). Afin de relier l’E411 sans effort, un tunnel routier d’entrée de ville surgirait du boulevard du Triomphe et un tunnel routier de sortie plongerait sous le boulevard de la Plaine pour relier une voirie à créer le long de la voie ferrée. Devant la gare d’Etterbeek toujours, le tram s’enfoncerait au second sous-sol (rendant peu confortable une correspondance avec les bus et les trains !). Bien qu’en dehors du cadre de l’étude, le rapport précise qu’un tunnel à gabarit métro serait nécessaire pour franchir le Bois de la Cambre, en direction du rond-point Churchill. On notera aussi avec plaisir que les plans regorgent d’arbres et d’arbustes entre les places de parking et, autant que possible, le long des voies de transport public.
Le métro du Loch Ness
Initialement, tout le travail préparatoire, du diagnostic aux dessins à l’échelle, devait être achevé pour l’été 2008. Il n’en est rien parce que la place Meiser reste l’objet d’une totale indécision. Un tunnel pour voitures ? Efficace, mais extrêmement coûteux. Un tunnel pour la STIB, au gabarit métro ? Peut-être, mais en direction de la gare du Nord ou du pont Van Praet ? On ne se formalisera pas outre mesure de ce dépassement de délai puisque, faute de financement, le projet risque de traîner longtemps dans les cartons. Récemment, la Ministre de la mobilité a déclaré être opposée à la solution du dispendieux tunnel sous Meiser, avant de dire le contraire suite à la bordée de critiques qui s’est abattue sur elle. Finalement, le travail a été renvoyé à l’étude en cours. Tant mieux, cette étude a justement pour but de définir la meilleure option : les responsables politiques de tous bords feraient mieux d’attendre les conclusions des études qu’ils ont eux-mêmes commanditées avant d’assener leur avis éclairé...
Motivé !
Au sein d’IEB, on déplore de ne pas disposer d’un réel diagnostic de congestion de la place Meiser. D’après les informations de radio-guidage diffusées matin et soir, ça a l’air de coincer. Mais le comportement des automobilistes voulant à tout prix s’engager dans un carrefour encombré au mépris de la logique et de la courtoisie est peut-être plus à reprocher que le dessin du rond-point... Et quand bien même un tunnel permettrait aux automobilistes de ne pas freiner, l’embouteillage ne serait que déplacé de quelques dizaines de mètres. La solution à portée de main et de bourse pour Meiser consiste à diminuer la quantité de bagnoles qui s’y enlisent en ôtant des bandes à l’autoroute de Liège, en abattant le viaduc et en requalifiant les rues adjacentes dont la chaussée de Louvain. Atteindre les objectifs régionaux de diminution du trafic (-20% en 2018) et rendre conviviale la place Meiser peut se faire -et devrait se faire- dans la même démarche : non par des travaux pharaoniques mais en ayant le courage politique d’affronter le trafic routier. Est-ce en rêvant d’un métro en 2050 et en élargissant quelques trottoirs à l’occasion du réaménagement d’une autoroute urbaine qu’on avancera ? Oui, le monde change, mais pas ici où nous avons décidément un tram et un vélo de retard.
Jérôme Matagne