Paul Jamoulle : « Mon premier souci en tant qu’habitant-commerçant du quartier, c’est le remplacement progressif de l’axe commerçant de la chaussée de Wavre, qui existe de longue date, par un nouvel axe qui part de la place du Luxembourg passe par la place de Londres pour aller vers la Porte de Namur via la rue de Dublin. On constate qu’un axe long et structurant est remplacé par un axe plus court. Beaucoup d’axes commerçants ont disparu, à cause de l’excentration des commerces, mais dans ce quartier, nous avions un chance magnifique avec l’implantation des institutions européenne.
Malheureusement, on a observé à la fois un enfermement des commerces à l’intérieur des institutions et un manque cruel de soutien et d’imagination commerçante à l’extérieur.
Le commerce est aujourd’hui dans le Parlement, on devrait le mettre dehors, pour que tout le monde en profite et que les gens dans le Parlement vivent la ville. Le mécanisme qui est développé dans le quartier est de faire rentrer les gens par un parking, une entrée de gare ou un métro, puis de les faire travailler, puis ils repartent chez eux, loin, sans avoir eu besoin de sortir. Ce modèle de ville crée des habitants fantômes qui vivent dans des termitières, des montagnes avec des entrées en dessous.
Or, la vie d’un quartier fonctionne aussi avec du commerce de proximité, du commerce fort, structurant. Ça favorise la vie, l’occupation des lieux, la sécurité, la convivialité. On a de moins en moins de commerce de fond, de bouchers, de boulangers, de libraires, de banques ou de postes. On a des tas de petites surfaces commerciales industrielles, où on nous vend de la nourriture en barquettes. Je ne sais pas si c’est bon ou mauvais toutes ces petites entités de supermarché. Cela devient peut-être des combats d’arrière-garde. La poste est coincée dans le Parlement, nous on a juste des guichets poste d’appoint dans des commerces. Il y avait une vraie poste, elle a disparu quand s’est créée une nouvelle poste dans la galerie du Parlement, qui n’est pas accessible à tout le monde, elle s’est privatisée. Les commerces à côté du Parlement s’orientent aussi vers ceux qui sont dans les ensembles administratifs du quartier et pas vers une population mixte. »
IEB : Qu’en est-il alors de la place du Luxembourg ?
PJ : « On y a mis tout ce dont le manque d’imagination belge est capable. Les gens qui l’utilisent ce sont les jeunes en stage, des lobbystes, etc, ils font du networking, ils essayent de rencontrer des gens pour leur carrière, leur futur. On voit qu’il y a deux ou trois endroits sur-occupés, et le reste est relativement vide. Le reste ne correspond pas aux attentes commerciales du public qui est là. Pour savoir qu’y mettre, il faut partir de la diversité des modes de vie du quartier, avec toutes les nationalités qui y transitent. Ils y a certainement des tas de demandes, pour que les gens s’y sentent bien. La place du Luxembourg, on y va car c’est « the place to be », mais on n’y est pas bien. Il faut que les gens se découvrent, communiquent, etc. Ce pourrait être le bon endroit, mais il faut en créer d’autres aussi. Le Parlement va attirer un nombre croissant de visiteurs. Aujourd’hui les institutions veulent faire venir de plus en plus de monde, même si leur communication est encore à améliorer. Ils veulent déplacer des touristes par centaines de milliers. Comment les loger, les nourrir ? On risque de voir les surfaces commerciales les moins rentables de la place du Luxembourg se transformer en une succession d’enseignes de fast-food et autres mini supermarchés, d’enseignes internationales en recherche de visibilité et, là, on va au au désastre, c’est le contraire de ce qu’on veut voir en face du Parlement, l’Europe ce n’est pas ces multinationales. L’Europe doit s’intéresser à ce que son environnement devient, sinon ce serait un symbole épouvantable. On ne veut ni une place vide, ni des Mac Do. La ville c’est la vie, et ça va de pair avec des bus, des trams, des ateliers d’artistes. Participer a la ville avec du travail, des ateliers culturels, créer une vie, participer avec des salles polyvalentes, etc, ça s’est un quartier vivant, cohérent, soutenable. »
IEB : Comment organiser cette vie multiculturelle dans le quartier européen ?
PJ : « Pour la culture, il y a une vraie demande du Parlement. Ils voudraient décentrer les expositions organisées à l’intérieur de leurs immeubles, car pour eux ce sont des problèmes permanents de logistique et de sécurité. Il y a un grand nombre de régions d’Europe et de multiples autres acteurs qui veulent communiquer sur leur importance, se faire connaître. Il faudrait des salles polyvalentes orientées vers le Parlement et qui permettraient l’ouverture à un autre public. Une des vocations du quartier est de devenir ce grand centre de l’Europe, un embryon d’Europe plurielle, c’est un symbole fort qui n’est pas utilisé. Il existe la Bibliothèque Solvay, mais c’est cher, élitiste et pas pratique à utiliser. Un de nos objectifs a été de lancer le débat sur le parc Léopold. C’est un parc historique, habité, au coeur de beaucoup de choses, avec des vieux bâtiments bruxellois, souvent de grande qualité. Il pourrait être un espace vert bien situé, mais il est surtout un parking à ciel ouvert à cause du manque de revendication de l’Europe. Il faudrait le remettre au milieu du débat et de l’aménagement. Le Parlement pourrait améliorer la qualité de ce lieu de communication entre les diverses entités alentour. C’est un parc construit, avec des bâtiments, une école, un musée. On va y faire un musée de l’histoire de l’Europe, qui risque bien d’être au départ un ratage consensuel, qui risque juste de prêcher à des convaincus. Pourtant ca va devenir un lieu de tourisme important. On a intérêt à ce que le parc soit réaménagé au préalable et ne soit plus un parking à ciel ouvert ou un chantier permanent, il faut déterminer quel trafic automobile on y autorise, etc. Et qu’on le fasse respecter. Pourquoi ne pas créer un espace de repos, une buvette, un kiosque à musique ou d’autres équipements dans ce parc qui est déjà habité ? »