Les années inexpérimentales

Conclusions

lundi 27 septembre 2010, par Claire Scohier

S’il y a bien une conclusion à tirer de ce cheminement réflexif sur le concept de gentrification c’est la nécessaire rupture à opérer avec l’idée naturaliste de la gentrification qui voudrait que celle-ci corresponde à un cycle naturel urbain que l’on pourrait tout au mieux accompagner, en gommant par la même occasion, le contenu social de la transformation à l’oeuvre et la responsabilité de différents acteurs urbains qui non seulement accompagnent cette transformation mais la suscite au profit d’une élite.

Etrange que certains puissent parler de gentrification positive alors que le terme même intègre l’idée de domination d’un groupe par un autre, celui d’une élite. Il ne s’agit toutefois pas de culpabiliser l’artiste ou le jeune cadre dynamique qui s’installe dans des quartiers populaires pour bénéficier de leur centralité ou de leur vitalité. La réflexion menée ici pointe précisément du doigt la trop grande place laissée aux lois du marché et le soutien plus ou moins volontaire et conscient de nos autorités à ces dynamiques colonisatrices et spéculatives. Les premiers gentrifieurs sont ceux qui tiennent les rennes, privées et publiques, de la production de l’espace urbain.

Autre enseignement : il ne s’agit nullement de devoir choisir entre la rénovation urbaine et le maintien des populations fragiles dans leur quartier mais bien de repenser la première comme un outil connexe aux politiques sociales à mener d’urgence dans des villes qui se dualisent de plus en plus. La rénovation est aujourd’hui pensée, à l’instar de notre économie financiarisée, comme un processus détaché de son rôle social pour devenir un instrument nourrissant les intérêts capitalistes privés. D’un côté, l’entreprise n’accroît plus son capital pour réinvestir dans les outils de production mais bien pour fournir un apport plus rémunérateur à ses actionnaires. De l’autre, la rénovation ne se fait pas au profit de ceux qui habitent les quartiers rénovés mais bien en vue d’attirer un public plus argenté. Quant au concept de mixité, il vise surtout à promouvoir des projets à forte plus-value immobilière dans les quartiers ciblés. Pensons à cet égard à la multiplication des logements SDRB dans les quartiers qui bordent la zone Canal alors que dans le même temps la production de logements sociaux piétine.

L’analyse remet en cause le postulat d’entraînement "win-win" d’un public fragile tiré vers le haut par un public de nantis. Loin de réduire la pauvreté, la gentrification la renforce en poussant à une concentration spatiale des populations précarisés vers les seuls espaces qui leur sont encore accessibles, selon la stratégie de dispersion analysée par Thomas Kirszbaum aux Etats-Unis.

En bref, on retiendra que lutter contre la gentrification ne s’apparente pas à vouloir l’abandon et l’appauvrissement des quartiers populaires. Pour IEB, il s’agit désormais de revendiquer le droit à la ville comme une démocratisation radicale de la production des espaces urbains en vue d’une (ré)appropration de la ville comme territoire de pratiques sociales autonomes et émancipatrices plutôt que comme marchandise.

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